La randonnée est un sport exigeant. Lorsqu’elle s’inscrit dans la durée, d’autres difficultés se présentent. Les engagements et les concessions ne sont plus les mêmes, l’effort devient quasi constant, et le mental travaille autant que le corps. Pour mener à bien une aventure de longue haleine, il faut non seulement que le corps tienne le coup et être soutenu par ses proches, mais aussi posséder un mental d’acier. Chaque aventure est une tranche de vie dont on tire des leçons précieuses.
J’aurais préféré que ma leçon actuelle me soit dispensée lors d’un périple moins engageant, avec moins de concessions, de temps et de dépenses investis.
Le 19 avril 2025, j’ai quitté mon emploi et mes proches pour réaliser un rêve teinté de nostalgie : parcourir une seconde fois le mythique sentier du Pacific Crest Trail, une expérience que j’avais vécue avec succès en 2016. Après de nombreux achats et d’innombrables heures passées à préparer cette aventure, à rêvasser des paysages et des rencontres qui m’avaient tant marqué à une période cruciale de ma vie, je me suis retrouvé dans l’avion. La réalité devenait palpable, et les premières fissures d’un édifice reposant sur une nostalgie inconsciente commençaient à apparaître. Adieu les souvenirs des couchers de soleil flamboyants, adieu les rires partagés et les impressionnants parcs nationaux ; ne restaient plus que les appréhensions liées au désert, la difficulté physique de l’entreprise, l’inconfort omniprésent et la douleur lancinante.
Déjà dans l’avion, je commençais à remettre en question mon désir de refaire ce sentier dont je rêvais pourtant régulièrement depuis avoir atteint son point le plus septentrional. J’étais loin de me douter que ce sentiment prendrait une ampleur aussi significative dans les semaines à venir.
Les brèves mais chaleureuses retrouvailles avec d’anciens compagnons de sentier ont temporairement apaisé les incertitudes qui m’habitaient désormais. La peur a brièvement cédé la place à l’excitation de faire mes premiers pas dans une nouvelle aventure et de retrouver cette communauté pour qui la nature devient une seconde patrie. Mais l’inévitable allait me rattraper.
La réalité, c’est que l’inconfort et la douleur s’immiscent instantanément dans le quotidien du randonneur au long cours. Toutes les conventions sociales finissent par s’estomper. Le rythme de vie change radicalement. Un temps d’adaptation est nécessaire, et ce dernier requiert une force mentale considérable. Ce mental, je l’ai, mais force était de constater qu’il me manquait une composante essentielle : l’envie profonde.
J’ai toujours eu une certaine difficulté avec l’engagement, particulièrement lorsqu’il s’agit de sortir de ma zone de confort et de prendre des décisions importantes. Je suis constamment obligé de me pousser, parfois à contrecœur, à m’investir dans certaines choses lorsque je sais que cela sera bénéfique à long terme. C’est précisément ce qui s’est passé ici. Mais cette tentative était peut-être aussi une manière de différer la prise d’autres décisions importantes qui me concernent en cette trentième année de ma vie. Et si la seule raison qui me poussait à ne voir que les aspects positifs de mon expérience de 2016 était la fuite en avant ? Je ne le saurai probablement jamais.
Au fil des premiers jours de marche, alors que je faisais mes premières rencontres et que j’étais plongé au cœur de la transition brutale entre la vie d’un citoyen lambda et celle d’un marginal, une remise en question surprenante de mes choix récents s’est installée. Avais-je réellement envie de parcourir à nouveau ce sentier ? Étais-je là pour les bonnes raisons ?
« Ce n’est que le début, il faut que je me laisse le temps de me remettre dans le bain. Fais cette section et vois comment tu te sens après. » Je me répétais cette phrase inlassablement, sans vraiment en parler autour de moi. Mais chaque jour, ce sentiment devenait de plus en plus oppressant. Par moments, j’avais l’impression d’avoir surmonté ces doutes, l’impression d’avoir retrouvé la marginalité nécessaire à la poursuite de ce projet. Comme si j’avais renoué avec mes bonnes habitudes de randonneur, celles que j’ai forgées et perfectionnées lors de mes précédentes escapades. Mais pas un seul jour ne passait sans que ce sentiment désagréable ne pèse lourdement sur mon cœur. Un sentiment sur lequel je n’arrivais pas à mettre des mots précis.
« Essaie encore une section, tu verras bien si ça passe », me disais-je. J’ai commencé à exprimer autour de moi et sur ce blog mes différentes interrogations et les maux que j’endurais. Tout comme je partageais les bons moments, car il y en avait tout de même, presque quotidiennement. Des moments souvent brutalement interrompus lorsque mon corps me rappelait à l’ordre, menaçant la suite de l’aventure. J’étais constamment rattrapé par la peur de devoir subir les moments de repos forcés par une blessure.
Lorsque le corps faiblit, c’est au mental de prendre le relais. Mais lorsque le mental ne suit plus, il ne reste que la détermination pour maintenir le cap. Et la détermination, j’ai découvert que chez moi, elle est alimentée par plusieurs facteurs :
1. Le défi :
Tous mes projets sont nés d’une idée audacieuse. Il fallait à chaque fois que cela paraisse presque insurmontable, tant pour moi que pour la plupart des gens.
2. La découverte :
Explorer une nouvelle culture, des paysages inédits, des villes inconnues.
3. L’envie de partager :
C’est un besoin que j’assouvis notamment à travers mes différents réseaux sociaux, afin de partager mes expériences et de vous offrir une petite parenthèse d’évasion.
Cette année, le défi n’était pas au rendez-vous. Ayant déjà parcouru le sentier une première fois, je sais que c’est réalisable. Ce n’était pas non plus une découverte. Certes, les paysages évoluent légèrement d’une année à l’autre, mais je n’avais pas l’excitation de la nouveauté ; je connais les panoramas, les points d’intérêt et les villes traversées. Et je pense que c’est précisément ce qui m’a manqué pour mener à bien ce projet. Comment accepter autant d’inconfort et de souffrance lorsque la récompense à la clé n’est pas suffisamment surprenante, stimulante ? C’est une idée qui ne voulait pas me quitter et qui me rongeait en continu. Et si je mettais mon temps et mes dépenses au profit de quelque chose que j’ai vraiment envie plutôt que de me forcer inutilement ?
J’ai donc pris la difficile décision d’interrompre mon aventure. C’est le cœur lourd que je rentre en France, ajoutant un échec à mon parcours, et non des moindres. J’ai rêvé de ce sentier, je me suis donné les moyens de le tenter, et je me suis laissé une chance de l’apprécier à nouveau. Cela n’a pas fonctionné. C’est une tentative qui restera longtemps en travers de ma gorge, mais durant laquelle j’ai appris une leçon essentielle : l’importance de s’écouter.
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3 Commentaires
Il faut aussi savoir s’écouter parfois. Vu le temps, l’énergie et l’effort demandé, si le plaisir n’est pas au rendez-vous c’est peut-être la décision la plus courageuse que de ne pas s’entêter et changer d’avis malgré ce que tu as déjà investis. Tu n’as clairement plus rien à prouver, vu tout ce que tu as déjà accompli et partagé sur ce blog.
Batiste, j’ai suivi avec grand plaisir et intérêt ton PCT en 2016 alors que je préparais le mien pour 2017 et aussi tes autres aventures. Ton parcours et ton partage en 2016 m’avaient aidé à planifier le mien et plus que jamais donné envie de le réaliser. Il n’y a ici aucun échec. Tu t’es écouté et c’est le plus important. L’échec aurait été de ne pas tenter car ça tu l’aurais probablement regretté, te demandant « et si ». Bravo à toi Fuckit et merci pour ton partage toujours honnête.
Analyse très lucide !
Cette bonne expérience est une invitation à construire les prochains projets avec une découverte de nouveaux sentiers/pays/cultures et ne pas trop répéter des choses déjà faites !