Prêts pour un bombardement de photos ? Traverser Yellowstone était un moment que j’attendais depuis de nombreuses années. J’y étais enfin ! Impatient de voir le premier parc national au monde, j’étais loin de me douter de la chance que j’allais avoir, tant sur le plan humain que sur la faune que j’allais croiser. C’était aussi la section pendant laquelle j’allais quitter l’état de Wyoming pour l’état d’Idaho, puis du Montana, le dernier de mon aventure.

Jour 120 : mile 1899,8

En raison des permis que Velveeta et moi avons eu pour traverser Yellowstone, on se retrouve à devoir faire 62 miles en 4 jours. C’est ce que l’on fait en 2,5 jours normalement. Donc on a profité de la matinée pour nous reposer et manger 1800kcal de burger et de glace. Puis on se met à faire du stop. En quelques minutes, un homme, Spike, s’arrête et nous emmène. Sur la route, il s’arrête à un bar et nous offre une bière. C’était vraiment très gentil de sa part, et les histoires qu’il nous racontait sur ses aventures en motoneige étaient palpitantes.

Une fois sur le sentier, j’entame la première montée qui se fait ressentir, surtout sous mon pied gauche. Avec le poids de mon sac pour 6 jours de nourriture, tout le matériel anti ours, et le ukulélé, ça commence à peser. Le sentier disparait dans des hautes herbes. Je prend un cap et marche tout droit jusqu’à atteindre une route de graviers que je suis pendant quelques miles. J’ai le droit à une première vue sur une chaîne de falaises assez impressionnante.

Le chemin redescend jusqu’à un lac où je retrouve un sentier que je suis jusqu’à l’autre bout. En cours de route, un orage commence à se faire entendre au fond d’une vallée. Il se rapproche de plus en plus, et de la grêle commence à me tomber dessus. C’était censé être une journée magnifique, sans pluie ni nuages… Ça a dégénéré en grosse averse d’une bonne demi heure. J’ai réussi à m’abriter sous un arbre le temps que le plus gros de la tempête passe. Une heure plus tard, rebelote. Le sentier n’est plus qu’un amas de boue dans laquelle je m’enfonce et glisse. C’est particulièrement ennuyant.

2 heures avant d’arriver au campement, je dois traverser une rivière assez large et dont il n’existe aucun chemin pour rester sec. Je décide d’enlever mes chaussures et chaussettes pour dire de garder mes pieds un maximum secs. Je traverse pieds nus sur des cailloux assez pointus; pas une petite de plaisir donc. J’enchaîne sur une montée pendant laquelle des centaines, voir des milliers de sauterelles sautent dans tous les sens autour de moi. Je traverse aussi des petites parcelles de forêt en faisant du bruit pour prévenir les ours de ma présence. À chaque craquement de branche, je me retourne rapidement, la main sur le spray, au cas où ce soit un grizzly.

À 20 minutes d’arriver au campement, une troisième averse tombe. Suffisamment pour bien mouiller mes pieds que je gardaient à peu près secs, et mon sac que j’utilise d’habitude pour surélever mes jambes dans la tente. Super… La pluie est un très gros point négatif de toute l’aventure, et c’est une année très humide pour les états que je traverse à priori, à l’exception du Nouveau-Mexique.

Jour 121 : mile 1922,7

Je me réveille à la même heure que d’habitude mais encore très fatigué. J’ai passé une nuit peu réparatrice, étant réveillé très régulièrement par des bruits alentours ou des douleurs ci et là. Néanmoins, je commence à ranger les affaires et je me force à gober des flocons d’avoine au sucre de canne dont le goût était vraiment immonde.

Le soleil se lève sur les falaises environnantes et rend l’atmosphère assez féérique. Mais le rêve est vite cassé quand je dois traverser une première rivière d’une bonne vingtaine de mètres de large. Je retire mes chaussures et chaussettes, j’enfile mes tongs, et je commence à traverser. L’eau est glaciale et me procure des douleurs typiques d’engelures. Le courant est assez puissant mais ça ne m’arrive qu’aux genoux. Sous la pression du froid, j’accélère un peu ma traversée. Je glisse sur une pierre, manque de tomber en arrière mais me rattrape avec l’un de mes bâtons. L’une de mes tongs glisse de mes pieds et je n’ai d’autre choix que de lui dire au revoir. J’arrive enfin de l’autre côté, criant intérieurement tant mes pieds étaient douloureux.

Je continue la marche dans de grandes plaines entrecoupées de forêts mortes. Quand j’arrive de l’autre côté du col, je découvre des montagnes entières couvertures d’arbres morts. Les scarabées qui ont décimé une grosse partie des forêts du Colorado, ont fait de même ici au bord du Wyoming. C’est assez triste. Ça rend aussi la marche plus complexe car nombre d’entre eux tombent au milieu du sentier, barrant la route. Une bonne centaine d’entre eux à devoir contourner ou enjamber !

Au midi, je m’installe au bord d’une rivière dans laquelle je place la canette de coca que je porte depuis la ville en attendant le moment opportun pour la déguster. Quand elle est suffisamment fraîche, je l’ouvre et mange mon repas de midi.

Le reste de la journée était sur un sentier fortement amoché par des chevaux. Tant les traces de sabot que les crottins à foison rendaient la marche peu plaisante. J’avais quelques montées à faire sur la journée et les dernières étaient particulièrement éprouvantes, surtout que le tendon de ma cheville droite s’était remis à faire des siennes.

En milieu d’après midi, j’ai croisé un homme qui marchait vers le sud. Il m’a indiqué que quelques miles plus loin, il avait été pourchassé par un grizzly et ses deux petits. Il a été contraint d’utiliser son spray. J’ai donc été sur le qui-vive pendant quelques heures. Et bien évidemment, il s’est mis à pleuvoir pendant ce moment.

Les champignons sont énorme !

Au campement, alors que j’écrivais cet article, de gros bruits se sont fait entendre au niveau de l’endroit où Velveeta et moi avons stocké notre nourriture. Les ours ne sont normalement pas capable d’y accéder car on utilise des conteneurs adaptés, mais entendre tout ça à une dizaine de mètres de moi m’a tétanisé. Je suis resté allongé, à ne pas faire un bruit, mon spray à la main.

Jour 122 : mile 1936,7

Aujourd’hui, nous ne pouvions pas aller plus loin car notre permis pour traverser le parc national de Yellowstone n’est valide qu’à partir de demain. On devait donc s’arrête juste avant. Comme c’était une petite journée, on a décidé de dormir un peu plus au matin et de prendre notre temps pendant la journée. J’ai au final assez mal dormi, mais ne commencer ma journée qu’à 8h30 était plutôt plaisant.

Je traverse une longue plaine avant de commencer à prendre de la hauteur. Je n’avais qu’une montée sur la journée, mais elle était assez longue. Pendant cette dernière, la gène que j’ai au genoux gauche depuis quelques jours commence à se transformer en douleur. Je fais des massages, je trempe mon genoux dans l’eau glacée de la source d’eau, mais rien n’y fait. Je fais un taping sur mon genoux pour réduire l’effort sur chacuns des mouvements. Ça aide un peu mais ce n’est pas suffisant. Alors je fini par prendre quelques ibuprofènes pour enrayer la douleur et la possible inflammation qui est en train de s’installer. Tout le reste de la journée, je marche doucement et je fais attention à ne pas faire de faux mouvements, mais je sens toujours ce muscle sur la face intérieure basse du genoux.

Parlant de la journée, en haut de la montée, j’ai eu une vue assez impressionnante sur la chaîne de montagnes des Tétons. Le sentier ne passe malheureusement pas par ces montagnes, mais elles restent impressionnantes de loin. Je continue ensuite sur la crête avant de redescendre dans une forêt, traversant de nombreux cours d’eau, dont certain m’obligent à retirer mes chaussures pour garder mes pieds au sec. Mais ce n’était que pour un petit moment car il s’est mis à pleuvoir, encore une fois, alors qu’ils avaient prévu une ultime journée de beau temps.

Arrivés au campement aux alentours de 17h, Velveeta et moi avons joué un peu de Ukulélé et de flute, puis j’ai sombré, en espérant que mon genoux aille mieux le lendemain.

Jour 123 : mile 1951,5

Aujourd’hui, je me réveille tout excité car je vais rentrer dans le très fameux parc national de Yellowstone. Je n’ai par contre que 15 miles pour atteindre le campement qu’on m’a attitré pour la nuit. Du coup, j’en profite pour dormir un peu plus longtemps.

Je débute ma journée par un enchaînement de plaines et de forêts, comme les précédents jours, puis, après avoir traversé une large rivière, je me met à monter un peu le long de la montagne. Rapidement, mon genoux devient problématique. Gonflement et douleurs s’installent petit a petit. Je ne peux pas tendre complètement ma j’arrive. Tant que je laisse le genoux légèrement en flexion, ce n’est qu’une gêne plus qu’une douleur et j’arrive à marcher avec. Je commence à boiter. Encore 2,5 jours de marche avant d’atteindre une petite ville dans laquelle j’ai peut être une chance de trouver une genouillère… Je ne comprend vraiment pas ce qu’il m’arrive.

J’arriverai au campement vers 16h, juste avant que la pluie et l’orage ne viennent m’embêter. Je n’ai encore rien vu du parc, la journée était dans l’ensemble un peu banale, juste des forêts, plaines et rivières à traverser. Mais demain, je suis censé voir les premiers geysers et sources chaudes !

Quand la pluie s’est calmée, j’ai fait un feu avec Velveeta et on a profité de ce petit instant de détente.

Jour 124 : mile 1973,7

Quelle journée ! Je met mon réveil pour 5h afin de commencer à marcher assez tôt pour avoir le temps de profiter de la source chaude. Mais comme il fait encore trop noir et que je suis sur le territoire de grizzly, je préfère attendre un peu avant de me mettre en route. A 6h, je fais mes premiers pas, toujours dans une forêt de petits pins. Puis c’est une forêt de grands pins, mais bien différente de nous forêts françaises. Le sol est jonché de fleurs et hautes herbes et non d’épines. C’est très plaisant de marcher de bon matin dans ce décors. Après 1 heure 30 de marche, j’atteins la fin de la forêt et je découvre pour la toute première fois le grand lac dont j’étais en train de faire le tour. C’était magnifique !

Une eau parfaitement claire, une petite plage de sable noir, de belles montagnes forestières en fond… Je découvre aussi les premières activités géothermiques du parc. Au pied de la montagne qui se trouve à la droite, une colonne de vapeur s’élève dans le ciel. Le tout avec les couleurs du levé de soleil. Je suis subjugué par le paysage.

J’étais en train de prendre quelques photos quand, à quelques mètres à peine au dessus de moi, un aigle s’envole. Il devait être en train de m’observer d’en haut de son arbre. C’est dommage que je ne l’ai pas vu plus tôt, j’aurai pu avoir de magnifiques photos, mais j’étais quand même très impressionné et heureux de voir cet immense et majestueux oiseau d’aussi près. J’étais si près que j’ai pu voir le détail de ses yeux !

La source d’eau chaude dans laquelle je me suis baigné

En reprenant ma route, je suis passé à côté de quelques piscines d’eau acide, avec leurs couleurs digne de vrais arc-en-ciels. Je découvrais tout cela pour la première fois et avec beaucoup d’excitation ! Un peu plus loin, c’était une petite rivière naturellement chauffée à 37 degrés. Je me suis intégralement baigné dedans et quel régal… J’ai passé 1h sous l’eau à me détendre. Quand j’ai repris la route, il commençait à faire chaud, très chaud.

J’ai pris un peu d’altitude, me laissant une vue imprenable sur le lac, les montagnes, et toutes les petites piscine fumantes. Puis j’étais de retour dans la forêt. J’ai traversé une route assez touristique puisqu’elle coupe le parc en deux, avant de m’enfoncer à nouveau dans la forêt.

Quand je suis sorti de cette forêt, c’était pour découvrir le lac Shoshone, bien plus grand et chaud que le premier. Le sentier traversait l’embouchure du lac, sur près de 40m de large. Je m’enfonce jusqu’au genoux, puis jusqu’au hanches, jusqu’à m’enfoncer jusqu’au dessus du nombril. Je ne m’attendais pas à autant de profondeur ! Heureusement, le courant n’était pas trop puissant. L’eau était par contre tellement bonne que j’ai décidé d’y nager un peu.

Velveeta en train de traverser l’embouchure

Retour dans la forêt pour quelques miles jusqu’à atteindre le campement. Il n’a pas plu alors qu’ils avaient prévu une après midi entière de flotte. Mais c’était jusqu’à arriver à la fin de mon repas quand, en même pas 5 minutes, le ciel s’est couvert, un dramatique orage s’est déclaré, avec un éclair toutes les 5 secondes, et une grêle puis pluie a commencé à s’abattre sur moi.

J’ai réussi à faire les 22 miles aujourd’hui, malgré mon genoux qui est encore assez douloureux et gonflé. À force de boiter, j’ai des tensions et niveau du tendon et des muscles du pied droit. J’ai vraiment (vraiment !) besoin de changer de chaussures.

Jour 125 : mile 1988,1 – Old Faithful

Quelle journée… Je commence à marcher à la fraîche, toujours dans la forêt. Après quelques miles, je m’enfonce dans les nuages tout en m’approchant du lac Shoshone. Je ne vois presque rien, mais ça donne une atmosphère très particulière et plaisante. Ce qui est moins plaisant par contre, ce sont toutes les toiles d’araignée que je me prend en pleine figure car je suis le premier de la journée sur cette section. Le marais que je dois traverser est lui aussi particulièrement ennuyant. Je suis trempé des hanches aux pieds et je m’enfonce dans la boue.

Quand je sors du marais, j’entends une sorte de grondement. Je ne vois toujours rien à cause de la brume, mais en m’approchant un peu, je découvre un paysage presque lunaire, une cheminée naturelle dont une épaisse vapeur s’échappait, et un cratère dans lequel se l’eau bouillait et jaillissait occasionnellement sur un petit mètre de haut. L’odeur de sulfure, les vapeurs et tous les petits bassins en ébullition et aux couleurs de l’arc-en-ciel rendaient la scène apocalyptique. J’étais de plus le seul à cet endroit, et seuls les grondements naturels brisaient le silence.

Les premières cheminées

Après quelques minutes de pause, la cheminée s’est mise à faire beaucoup de bruit. Quelques secondes plus tard et j’avais le droit à une très belle éruption de quelques secondes, montant probablement à 3 ou 4 mètres de haut. Je venais de voir un geyser en éruption pour la première fois de ma vie. Toutes les 3 minutes, une nouvelle éruption se produisait. C’était impressionnant.

Ambiance très mystique autour du geyser Minute Man
Piscine d’acide

J’ai repris la route pour une nouvelle section de forêt. Après 3 heures de marche, j’arrive à la jonction vers un autre geyser, hors sentier. Je fais les 500m qui me séparent du geyser Lone Star. Quelle surprise quand j’ai découvert, au milieu d’une petite étendue sans arbre, une énorme cheminée, de la forme d’un oeuf, comme si cela appartenait à un alien. Ce geyser est censé entrer en éruption toutes les 3 heures pour une demi heure de spectacle. Je m’installe donc, à une trentaine de mètres de lui, tout en faisant sécher mon matériel.

Traversée juste à côté de quelques trous fumants

J’avais oublié que j’étais dans un parc national, mais la connerie des touristes me l’a vite rappelé. Ainsi, en une heure et demi d’attente, j’ai vu trois personnes s’approcher à moins de 5m de la cheminée qui crachait des petits jets d’eau, et un couple donner de la nourriture aux écureuils pour avoir de belles photos. D’ailleurs, les touristes sont pressés. Ils attendent quelques minutes et se remettent en route, frustrés de ne pas avoir vu d’éruption. Mais moi, j’ai pris mon temps. Ainsi, j’ai pu admirer un spectacle assez grandiose avec des jets à plus de 10m de haut et un débit de vapeur impressionnant. Le spectacle a duré une demi heure au total.

La connerie des touristes me permet au moins de montrer l’exhelle de taille du geyser Lone Star

J’ai ensuite marché les derniers miles jusqu’à la ville de Old Faithful. Vous connaissez l’histoire, orages, grêle, pluie… Un éclair a claqué juste au dessus de ma tête. Le tonnerre a retenti en une fraction de seconde me tétanisant tant c’était fort et soudain. J’ai d’ailleurs pu entendre crier les touristes que j’avais dépassé 10 minutes plus tôt.

En ville, je fais un petit ravitaillement, je mange un bon burger, et je vais voir une éruption du geyser Old Faithful. Les jets étaient bien plus hauts, mais moins impressionnants que Lone Star car le publique doit rester assez loin. J’ai rejoins Velveeta. Un de ses amis travaille dans le parc. Quand il a fini, il est venu nous chercher et nous a déposé au campement de Grants Village. Il nous a nourri et hydraté. On a passe un bon moment !

Jour 126 : mile 2003,8

Le geyser Old Faithful
Devant Old Faithful

Au petit matin, après une mauvaise nuit pleine de cauchemars, l’ami de Velveeta vient nous chercher et nous redépose à Old Faithful. Là, on mange un buffet à volonté pour le petit-déjeuner. 1h30 et 4 assiettes plus tard, on se met en route.

Plutôt que de prendre le CDT, j’ai pris un petit chemin touristique, légèrement plus long, mais qui passe à côté de très nombreux geysers et bassins aux couleurs éclatantes. C’était un moment assez magique, me baladant dans un paysage lunaire où de l’eau et des vapeurs étaient projetés de partout

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Morning Glory, le bassin le plus populaire du parc

Une fois que j’ai quitté ce chemin, j’étais de nouveau sur un sentier sans touristes, en direction de la frontière avec l’état d’Idaho. Mes genoux allaient mieux. J’arrivais à marcher normalement. Je fais la première montée dans la forêt, un petit plat, puis une seconde montée pour ensuite arriver sur un grand plateau forestier.

J’arrive enfin au lac Summit, dernier ravitaillement en eau pour une section de 45km, soit une journée entière de marche. Je filtre 4,5 litres, j’en bois un supplémentaire sur place pour m’hydrater un maximum, et je continue mon chemin. C’était assez inconfortable d’avoir bu autant d’eau, et j’avais quelques nausées mais c’était probablement le bon choix. Quelques minutes après avoir quitté le lac, subitement, une douleur apparaît juste en dessous du mollet gauche. Je fais quelques massages, étirements, et une petite pause, mais la douleur persiste et augmente. Je commence donc à boiter, à nouveau. Même en boitant et en mettant tout mon poids sur mes bâtons de marche, la douleur augmente. J’enfile ma chevillère de compression jusqu’au mollet. Rien n’y fait, la douleur empire. Dès qu’un peu de poids est mis sur mon pied, je ressens la douleur.

Je n’avais pas le choix, je devais pousser. Je suis dans un parc national dans lequel il est interdit de camper hors des campements indiqués, et il faut un permis pour chaque nuit. Il me restait 8 miles, soit 13km, pour quitter le parc et pouvoir m’installer n’importe où.

Alors que je faisais une vidange, j’ai vu arriver un animal en face de moi, sur le sentier. De loin, ça ressemblait beaucoup à un renard. Quand il m’a vu, il s’est arrêté. J’ai pu voir qu’il avait dans la gueule un écureuil. J’ai tenté de prendre mon téléphone pour une photo mais il a pris peur et est parti sur le côté. En le voyant de profil, j’ai bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un renard ! C’était un cougar ! C’est à priori extrêmement rare d’en voir, et ils ont tendance à être dangereux car ils suivent précis les humains sur de nombreux kilomètres avant de petits attaquer. Ressemblant à un gros chat, il avait une queue bien différente des renards, bien plus proche d’un félin.

J’ai continué de pousser sur la douleur, cherchant des mouvements plus doux mais ne trouvant rien qui l’apaise. C’était de plus en plus dur d’avancer. J’ai finalement atteint la frontière entre l’Idaho et le Wyoming, terminant le 3 ème état de l’aventure. J’aurai volontiers fêté ça, et j’avais emmené une bière pour l’occasion, mais le cœur n’y était pas du tout. Je la garde pour un meilleur jour. Je craignais une tendinite du talon d’Achille, et c’est une blessure très longue à soigner. J’espérais plutôt un claquage, mais je n’étais pas sur si la douleur était tendineuse ou musculaire.

Fin du troisième état, le Wyoming

Vu mon état, j’ai pris la décision de monter ma tente à la frontière, juste avant qu’un très gros orage et une belle averse ne tombe, pour changer. Je suis toujours dans le parc de Yellowstone, à 4km d’en sortir. Du fait, je suis dans l’illégalité. Mais je suis vraiment incapable de continuer pour aujourd’hui. J’avale 6 ibuprofènes, je fais un ultime massage, je met de la crème de CBD sur la zone douloureuse, et je me couche, croisant les doigts très forts que ce ne soit que musculaire et que demain, ça aille mieux. Je suis usé de la pluie, usé des blessures à répétition.

Jour 127 : mile 15,1 du détour Macks Inn – West Yellowstone

Réveil matinal avec une tente presque sèche grâce au vent. J’ai fait une grosse nuit, et ca m’a fait le plus grand bien. Je me lève avec beaucoup d’appréhension, ayant peur que la douleur ne soit encore présente. Mes premiers pas ne sont clairement pas aussi dramatiques que les derniers d’hier. La douleur a laissé place à une simple gêne. Je range mes affaires et je marche vers la sortie du parc.

Je boite légèrement pour ne pas faire évoluer la gène en douleur. Ça semble fonctionner ! J’atteins la limite du parc après 1h20 de marche. J’ai réduit mon rythme pour ne pas trop forcer. Avoir autant boité a par contre un peu relancé mes genoux et mon tendon à la cheville droite. L’état de mes chaussures n’aide clairement pas mais… Une nouvelle paire m’attend dans la prochaine ville, soit ce soir, soit demain !

J’atteins la jonction avec le détour de Macks Inn. C’est un sentier très utilisé car il permet de couper quelques miles de la frontière avec le Montana. J’ai 3 options : suivre le sentier officiel sur 33 miles, soit 1 grosse journée et une bonne demi journée de marche, prendre le sentier jusque West Yellowstone pour un total de 28 miles, ou prendre le détour de Macks Inn, pour un total de 22 miles. Ayant un peu peur que l’etat de mes chevilles, genoux et mollets ne dégénère, j’ai décidé de suivre le détour de Macks Inn et de m’arrêter quelques miles avant la ville de Island Park pour la nuit, puis faire du stop le lendemain matin jusqu’à West Yellowstone, la prochaine ville. Velveeta et Long Stride ont décidé de suivre le sentier officiel.

Je marche le long d’une route de terre dans laquelle sont creusés d’énormes trous pour empêcher toute circulation. Puis un sentier de graviers. Enfin, un sentier de poussière. Chaque voiture ou quad qui passait levait une quantité affolante de poussière, m’obligeant à masquer mon nez et plisser les yeux. Et il y en avait beaucoup !

J’étais dans une forêt de petits pins donc je n’avais pas vraiment de vue, c’était un peu décevant, mais le sentier officiel était censé être à peu près pareil. J’ai atteint la dernière ligne droite jusqu’à la ville, une route pavée. Il n’était que 3h30, donc j’ai pris la décision de pousser jusqu’à la ville, de faire du stop jusqu’à West Yellowstone dans l’État de Montana, de manger un bon mcdonald et de dormir quelque part en ville pour pas trop cher.

Arrivé à Island Park, je me positionne sur le bord de la route et je commence à faire du stop, peu rassuré. En effet, il est illégal de faire du stop dans l’état d’Idaho, et de nombreux randonneurs disent avoir eu des soucis avec la police à cet endroit précis. Mais par chance, une voiture s’arrête après quelques minutes à peine.

Tom, le conducteur, est un guide animalier au sein du parc de Yellowstone. C’était son jour de repos, mais il allait dans le parc pour voir une représentation temporaire tenue par des natifs américains. Il me dit « Si tu n’as rien à faire ce soir, tu veux m’accompagner ? ». Je n’avais rien à faire, donc j’ai accepté. C’était une occasion de découvrir quelque chose de nouveau ! Sur la route, j’ai expliqué que j’étais un peu déçu de ne pas avoir vu de bisons. Il ne lui a pas fallu une seconde de plus pour m’annoncer « Je vais te faire faire un tour de Yellowstone comme tu ne l’as jamais vu ! ».

On traverse la ville de West Yellowstone dans laquelle je recupère mon nouveau chargeur qui va me permettre de charger mon téléphone et ma batterie en 1h30 au lieu des 6h de la charge lente. Puis sur la route, il y a le McDonald. J’ai payé un repas pour tous les deux, histoire de le remercier pour l’aide. Et on s’est remis en route direction le parc. À peine 2km plus loin et voici les portes de Yellowstone. Entrée gratuite car il a un pass employé.

On arrive au niveau de la représentation des natifs et nous n’y sommes pas restés longtemps. Si ce n’est du rap et autres discours complètement déconnectés de leur culture, il n’y avait pas grand chose. C’était juste un banal divertissement pour touristes. Alors on s’est remis en route. Il m’annonce qu’on part pour un tour de 3 à 4h vers le nord est du parc pour voir de la faune. À peine une demi heure de route dans une forêt et quelques magnifiques et grandes plaines plus tard et nous voilà arrêtés sur le bord de la route, un bison mâle marchant droit vers nous ! Il est énorme !! Tom ouvre la fenêtre et m’annonce la couleur : il va passer à quelques centimètres de la voiture et tant que je ne fais pas de bruits, on ne risque rien. Et pouf, voilà un monstre de 900kg qui passe à 50cm de moi ! Je suis abasourdi par le spectacle !

On reprend la route à travers de grands plateaux. Il se gare le long de la route, me pointe une colline et sors les jumelles. Depuis 4 jours, il y a une carcasse de bison au loin, et 2 grizzly rodent régulièrement pour leur repas. Et il avait bien raison ! Nous étions très loin, presque 4km, mais avec les jumelles, j’ai pu voir un grizzly d’une dizaine d’année festoyer sur la dépouille.

Un Wapiti femelle au bord de la route

Puis c’était le tour des wapitis, dont un mâle avec d’impressionants bois, des femelles qui traversaient la route ou qui mangeaient à quelques mètres de là, des bisons dans l’eau, des bisons qui remontent une colline, des bisons, des wapitis, des bisons… Une faune impressionnante ! Avec les couleurs dorées des dernières lueurs du soleil, les paysages etaient resplendissants ! Les plaines étaient couleur or, le vert des pins était chalereux, les falaises brillaient de miles nuances de jaune et d’orange.

Un wapiti mâle

Sur la route du retour, il a bifurqué vers « le grand canyon de Yellowstone », un canyon naturellement creusé par une large rivière. J’ai pu voir d’immenses falaises aux teintes orangées, une cascade plus haute que les chutes du Niagara, et des nuages qui viraient au rose. Puis il m’a conduit pour un ultime arrêt, au dessus d’une seconde cascade.

J’étais aux anges. Le CDT ne traverse qu’une minuscule partie du parc, et j’étais un peu triste en le quittant la première fois de ne pas avoir vu autant de faune et de flore qu’escompté. Avoir pu profité d’un grand tour pareil avec quelqu’un qui s’y connaissait en faune, qui savait où regarder et qui trouvait les animaux à l’oeil nu alors que je ne voyais rien était incroyable. De plus, les couleurs du coucher de soleil rendaient chaque vues magiques. J’ai eu une chance incroyable et c’est définitivement l’un des moments les plus marquants de mon aventure. Le meilleur stop que j’ai pu avoir.

J’ai fini ma journée au McDo pour charger mes batteries et manger quelques calories. Vers 23h, je suis reparti en direction du parc et je me suis caché derrière quelques arbres à une cinquantaine de mètres de la route pour ne pas être vu. J’ai monté ma tente et j’ai sombré pour une nuit qui s’annonçait peu réparatrice car je n’avais pas vraiment le droit d’être là. Mais les hôtels sont à 300€ la nuit, et je ne suis pas prêt à mettre ce prix là tout seul.

Tom, cette personne qui a fait de cette journée un moment inoubliable

Le Wyoming a de très loin été l’état le plus impressionnant et étonnant. Commencé sous la pluie, fini sous la pluie, traversant un long plateau désertique de presque 400km, traversant les plus belles montagnes que j’ai pu voir jusqu’à maintenant avant d’atteindre un immense parc national rempli d’une faune et d’activités volcaniques que je n’avais jamais vu… Moi qui le pensait plat, désertique tout du long et ennuyant, j’ai été conquis. Merci Wyoming.

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3 Commentaires

  1. Excellent !
    Cette étape est effectivement marquante. Et ça se sent à ta narration. 🙂

    Trop sympa le Tom! Ce genre de rencontre qui te change une journée du tout au tout.
    J’espère que ta douleur à la jambe va s’atténuer quand même.

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