Jour 152,153 : Augusta

Il ne s’est pas passé grand chose pendant ces deux journées de repos. Si ce n’est mettre de la glace et garder mes jambes en l’air, je n’ai pas vraiment bouger. C’est vraiment frustrant de ne pas pouvoir marcher comme je le souhaite, mais je dois vraiment être en forme pour les deux dernières sections car la première est de 6 jours et la seconde est de 5 jours. Supposées magnifiques, je ne veux pour rien au monde les rater !

Jour 154 : mile 2759,2

Aujourd’hui, j’ai entamé la pénultième section de l’aventure. Celle-ci traverse la réserve naturelle de Bob Marshall, un endroit avec une forte population d’ours, et des paysages incroyables. The Austrian nous conduit, avec une grosse heure de trajet, au niveau du parking de Benchmark, à partir duquel on retourne sur le sentier. Sur la route, à quelques minutes d’arriver au parking, un cougar traverse la route. Il nous fixe quelques secondes avant de s’enfoncer dans la forêt. J’ai eu le temps de prendre deux photos mais on ne le voit malheureusement pas de face. C’est le second que je vois, et qu’ils sont impressionnants ! À moitié entre un chat et un guépard.

J’entame ensuite le long faux plat ascendant qui suit une rivière. Je traverse des forêts de pins, d’autres de bouleaux, et parfois des mélanges des deux. J’arrive ensuite au niveau d’une ouverture où les sapins sont encore tout petits et me laissent voir les montagnes environnantes. C’est vraiment fabuleux, surtout avec les couleurs de l’automne. Il fait vraiment beau et bon aujourd’hui, donc j’en profite un maximum car demain est censé être une journée pluvieuse.

Néanmoins, je suis embêté par mes chevilles et mon mollet. Beaucoup. À tel point que je prend un Doliprane en plus des ibuprofènes. Le changement de chaussures, le repos, les étirements, les massages et la glace ne corrigent pas ces douleurs qui empirent sans cesse et me bouffent le moral. La seule chose qui pourrait expliquer cela : mes semelles orthopédiques ne sont pas adaptées.

Je force tout de même toute la journée, faisant des pauses de temps en temps pour essayer de calmer tout ça. Il ne me reste plus que 10 jours de marche. Dix journées à tenir, quitte à marcher sous codéine. Je ne peux pas abandonner aussi proche du but, sur ces deux incroyables sections…

Jour 155 : mile 9 du détour de Spotted Bear Creek

Réveil à la fraîche pour un départ à 7h, avant que le soleil ne se lève. Ce soleil, je n’allais pas le voir de la journée. Je commence ma journée par une longue montée d’un peu plus de 800m. Au plus je montais, au plus je m’enfoncais dans les nuages. Avec le petit vent, il a vite fait très froid donc j’ai enfilé ma doudoune et mes gants. C’est par contre un froid que j’apprécie grandement ! Avec l’humidité, le calme, l’odeur de la forêt et les couleurs automnales, je suis aux anges.

Au niveau du col, je suis par contre un peu déçu car je n’ai aucune vue sur la muraille de Chine (chinese wall) du Montana. Longue de plus de 8km, c’est une immense falaise que le sentier suit à son pied. Il s’agit de l’un des points d’intérêt que j’attendais avec le plus d’impatience car c’est une photo qui ressortait très régulièrement lors de mes recherches et ca semblait impressionnant. La seule vue que j’ai pu avoir dessus, c’est un peu plus tard, lorsque je m’en éloignais et que les nuages se sont un peu dissipés. Mais je n’appercevais qu’une petite partie. Je vous met donc une photo de ce à quoi ça ressemble par beau temps.

Après ce passage, le sentier est redescendu un peu vers un très beau lac qui me rappelait beaucoup les dernières sections du PCT. Les arbres en haut de la falaise étaient couverts de gel mais j’étais à l’abris du vent de l’autre côté de la montagne donc je pouvais profiter du spectacle sans devenir un glaçon. Puis je suis redescendu jusqu’à la jonction avec le détour de Spotted Bear Creek. C’est un détour un peu plus court que le sentier officiel, mais qui offre un très beau passage dans la forêt ainsi qu’un col de montagne supposé impressionnant. Je devrais y arriver demain.

Ce sentier descendais progressivement jusqu’au campement que j’avais choisi pour le soir, après 22miles de marche (35km). J’étais très euphorique et nostalgique, tant par la section que par la fin de l’aventure qui se rapproche à vitesse grand V. J’étais aussi content car je n’ai ressenti de douleur aux chevilles qu’avec parcimonie et seulement pendant les 4 derniers miles. C’est grâce aux anti-douleur que je prend matin et midi, mais en plus de soulager mon corps, ça soulage mon esprit qui perdait tout son moral à la moindre douleur. Plus que 9 jours de marche à tenir.

Il n’a plut que de très fines gouttes et quelques flocons aujourd’hui, donc ce n’était pas trop mal. Demain est censé être une journée bien ensoleillée, ça changera un peu les couleurs du décor. J’ai hâte.

Jour 156 : mile 2818,4

J’ai eu beaucoup de mal à dormir la nuit dernière. Je me suis réveillé à 1h30 et impossible de me rendormir avant 4h. Néanmoins, à 6h, j’ai commencé à manger et ranger mes affaires, alors qu’il faisait encore nuit. L’intérieur de ma tente était couvert de condensation gelée, de même que ma bouteille d’eau qui était à moitié un glaçon ça explique pourquoi j’ai eu un peu froid cette nuit avant que je ne ferme complètement mon sac de couchage, laissant juste mon nez gelé à l’extérieur.

Début de journée en suivant la même rivière que la veille. Je retrouve Wildman qui s’est à priori un peu foulé la cheville gauche hier. Il arrive tout de même à marcher dessus mais semble en grande douleur et elle est plutôt gonflée. Le sentier arrive ensuite au niveau d’une petite maison entourée de papier aluminium. C’est à priori mis en place par les pompiers pour éviter qu’elle ne brûle. Il y a eu un feu dans les environs quelques mois plus tôt, ça n’a pas encore été retiré. Ça fait bizarre de voir ça au milieu de nul part. De là, le sentier bifurque pour remonter le long d’une autre rivière avant d’entamer une longue montée de 10km pour 1000m de dénivelé. Ce n’était pas trop raide, mais c’était juste très long. Cette montée mène jusqu’au col des lacets (Switchback Pass) et porte plutôt bien son nom car des lacets, j’en ai eu sur toute la montée ! J’ai aussi eu une vue assez distante mais plaisante sur la muraille de Chine toute ensoleillée. C’est dommage que je n’ai pu la voir hier, mais c’est mieux que rien !

Le sol était congelé, et les arbres exposés au soleil me faisaient tomber de la glace sur la tête. On en est là niveau température. Tout commence à geler pendant la nuit et les mauvaises journées frôlent les températures négatives.

J’étais loin d’imaginer la vue que j’allais avoir au col. Les montagnes de l’autre côté étaient presque à perte de vue, avec de très longues falaises d’un côté, et de grandes forêts brûlées de l’autre. Les arbres morts rappelaient beaucoup un paysage d’hiver, et le vent, très froid, qui me soufflait en pleine figure renforçait cette sensation. Le ciel, parfaitement découvert et bleu était le même qu’un ciel hivernal. J’étais aux anges devant ce spectacle. Quelle beauté cette section ! Je ne suis pas resté trop longtemps en haut car je me suis vite rafraîchi mais la descente était toute aussi impressionnante.

Traversant des petites forêts éparses aux couleurs rouge et orange, puis longeant un lac entouré d’immenses falaises avant de suivre une longue falaise, il y en avait pour tous les goûts. Ensuite, je suis redescendu dans la vallée, traversant quelques rivières dont une un peu dangereuse car les tronc qui formaient un pont naturel roulaient sous mes pas. Enfin, j’ai traversé une longue section brûlée quelques années plus tôt avant d’atteindre le campement après 35km de marche et un total de 1400m de dénivelé positif. Je n’ai pas ressenti beaucoup de douleur aujourd’hui car j’ai pris 3 anti-douleurs en plus des ibuprofènes, mais je ressens toujours les gènes. Tant que ça n’empire pas, ça devrait aller pour la suite. Plus que 8 jours de marche.

Par contre, avant de nous coucher, Wildman a utilisé sa balise GPS pour avoir une estimation météorologique, et comme nous le craignons, demain va être une très dure journée. Ils annoncent de fortes pluies dès cette nuit 23h jusqu’à après demain, avec des températures maximales de 5 degrés, et 40 a 60km/h de vent. C’est une nouvelle qui nous a tous les deux sapé le moral alors qu’on espérait pouvoir faire une longue journée demain pour atteindre la ville le lendemain. On verra ce que demain nous réserve, mais je ne suis vraiment pas impatient.

Jour 157 : mile 2846,8

Je me suis réveillé en pleine nuit à cause d’une crise d’angoisse concernant la météo du lendemain. Il était 1h et il ne pleuvait toujours pas, mais je redoutais énormément la journée à venir. J’ai comme un certain traumatisme des 4 journées où j’ai frôlé l’hypothermie voir où j’ai atteins le stade 1. Quelques minutes plus tard et voici les premières gouttes qui tombent. Ça n’a aucunement aidé mon angoisse et il m’a fallu deux bonnes heures pour me calmer et retrouver le sommeil.

Au matin, il pleut un peu. Je mange mon petit déjeuner, je commence à ranger mes affaires et la pluie s’arrête. J’en profite pour ranger ma tente trempée et me mettre en route. Il se met à pleuvoir un peu, de petites gouttes d’abord, puis d’un peu plus grosses, mais il n’y a pas de vent. Abrité sous mon parapluie et mon poncho, je suis la rivière sur une très longue section qui a brûlé il y a quelques années. Tous les arbres étant morts, je ne suis pas à l’abris des gouttes mais j’arrive à garder mon torse, ma tête et mes mains au sec et au chaud. Par contre, la végétation envahit le sentier et je me retrouve complètement trempé des hanches aux pieds par toutes ces plantes qui gardent des gouttes d’eau sur leurs feuilles. Ce n’est pas trop problématique, mais ça veut dire qu’avec du vent, ou lors d’une pause, je vais vite me rafraîchir.

Je continue ma route, tantôt sous de grosses gouttes, tantôt sous une très fine pluie parfois même, il ne pleut plus du tout. Je passe mon temps à changer mon parapluie de main, mais que je suis content de l’avoir ! Le sentier fini par quitter cette rivière pour en suivre une autre, remontant une petite colline. Puis une descente de l’autre côté toujours dans un sentier envahi par les herbes hautes. Après 10km, je fais ma première pause. 5 minutes tout au plus. Je me remet vite en route car je commence à me refroidir. Ma seconde pause, ce sera celle de midi, quelque 14km plus loin. La troisième et dernière, c’est 16km plus loin que je la ferai, et je l’écourterai encore plus car le vent s’est levé et commence à me geler même en marchant. Les manches de mon t-shirt et de ma doudoune ont fini par prendre l’eau à cause des arbustes à hauteur de tête qui n’attendaient que de me voir pour me tremper. Mais je me sens tout de même plutôt bien. Je n’ai dans le fond froid qu’aux jambes et aux mains.

Je termine ma longue journée en arrivant à une cabine pour les rangers. Elle est fermée et nous ne sommes pas autorisés à camper là, mais vu le froid et la pluie qui commence à très sérieusement s’abattre, on Wildman et moi nous installons à l’extérieur sur le balcon. Le vent augmente et tend à nous asperger un peu, mais ça reste mieux que rien. La température chute rapidement et je suis bien content de pouvoir boire un litre de chocolat chaud avant de me cacher dans mon sac de couchage humide. Mes vêtements de nuit sont eux bien secs. Au final, ce n’était pas une si mauvaise journée que ça, mais je n’ai pas vraiment eu de vue aujourd’hui à cause des nuages. Je m’en sors vraiment bien, bien mieux qu’espérer, et je peux affirmer que c’était ma meilleure journée de pluie.

il m’aura fallu attendre le 157e jour pour atteindre cet état de méditation que les sportifs d’endurance doivent connaître. C’est un état très particulier dans lequel il est possible d’analyser objectivement notre vision du monde et de nous poser des questions sur l’avenir. C’est un moment pendant lequel je me suis posé des questions sur ce que je prenais pour acquis, sur comment je voyais le futur, et sur ce que je souhaite faire par la suite. C’est un moment très important dans ce genre d’aventure, car dans le fond, il n’est pas anodin pour moi de me retrouver là. On dit souvent qu’on est à la recherche de réponse, sans même réellement connaître les questions, et j’ai la sensation que c’est cet état qui me permet de vraiment faire une introspection sur moi-même. C’est aussi un moment pendant lequel je me sens très léger, la tête à la fois vide et pleine d’idées, l’esprit en paix. Il est souvent dit que la nature a des pouvoirs thérapeutiques, c’est à ce genre de moment que l’on fait référence.

Jour 158 : mile 2876,8 – East Glacier Park

Il y a eu beaucoup de vent pendant la nuit. Ca projetait de l’eau sur mon sac de couchage. Mes pieds etaient trempés mais je n’ai pas eu trop froid. Au petit matin, j’enfile mes vêtements congelés par les températures négatives des récentes nuits, et je me met en route sous un ciel couvert de quelques gros nuages. Il y avait beaucoup de vent donc il m’a fallu quelques minutes pour me réchauffer, mais c’était bien mieux que de marcher sous la pluie ! J’avais enfin des vues à apprécier, et c’était vraiment plaisant !

En regardant le gps, je me suis rendu compte que je n’étais plus sur le sentier depuis quelques kilomètres. J’avais simplement suivi la route qui longeait la rivière. J’ai continué sur cette route car il y avait un moyen de rejoindre le sentier un peu plus loin. J’ai du traverser la rivière dix fois, et j’ai à chaque fois réussi à garder mes pieds au sec. Mon pantalon était par contre bien mouillé à causes des arbustes au bord du sentier. Quand j’ai rejoins le tracé officiel, mon tendon droit a commencé à vraiment me faire mal malgré les anti-douleurs. J’ai ralenti jusqu’à atteindre la route, en même temps que Wildman. À peine le temps de lever le doigt qu’une voiture s’est arrêtée pour nous prendre et nous déposer à East Glacier Park, dernière ville de l’aventure.

Jour 159 : mile 2876,8 – East Glacier Park

C’était repos aujourd’hui. D’une part parce que mes chevilles ne sont pas du tout en forme, d’une autre parce que j’attend le reste du groupe, enfin, parce qu’il faut un permis pour camper dans le parc national des glaciers, ma dernière section. Ce permis, on ne peut l’avoir que de la veille au lendemain, et on n’est pas sur d’avoir les campements que l’on demande. Il faut donc un peu de préparation et avoir plusieurs plans sous la main pour maximiser les chances d’en obtenir un. J’ai passé quelques heures avec Wildman à préparer tout ça.

En raison du Covid, beaucoup de postes de frontière sont fermés entre le Canada et les États-Unis. Traverser la frontière à Waterton, en pleine nature et sans douaniers était donc formellement interdit. Néanmoins, les règles de sont un peu assouplit lors des dernières semaines. Ainsi, j’ai appelé le centre des douanes canadienne et j’ai réussi à obtenir une autorisation pour traverser la frontière au niveau du lac, le terminus le plus impressionnant du Continental Divide Trail. Ça m’arrange beaucoup, car je n’aurai que 4,5 miles à faire de la frontière jusqu’à Waterton Park, la première ville Canadienne, plutôt que de devoir en faire 30 aux États-Unis pour rejoindre Chief Mountain, la route la plus proche, qui n’a presque aucun traffic. Je m’apprête donc à faire la dernière section de l’aventure.

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2 Commentaires

  1. Bonjour,
    J’ai presque lu tous tes récits. Je suis bluffé par ton courage et ta résilience…. Mille respects et merci encore pour ces moments de partage.
    Bon courage pour la fin

    • Bonjour Youssef,
      Je suis content que cette épopée te ravisse 🙂 d’autres articles sont à venir; j’espère que tu prendras tout autant de plaisir à les lire ! Bonne lecture 🙂

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