Ca y est. Après 164 jours d’aventure, je termine les 2198,4 miles (3517km) de l’Appalachian Trail. Du 8 mars au 17 août, j’aurai marché à travers les états de la Géorgie, de la Caroline du Nord, du Tennessee, de la Virginie, de la Virginie Occidentale, du Maryland, de la Pennsylvanie, du New-Jersey, de New-York, du Connecticut, du Massachusetts, du Vermont, du New-Hampshire, pour atteindre le milieu de l’état du Maine.
J’ai gravi l’équivalent de 16 fois l’Everest de la mer à son sommet, soit 40% de dénivelé positif en plus par rapport au PCT qui est pourtant 20% plus long. J’ai traversé les états du sud pendant les derniers mois de l’hiver, pour rejoindre les montagnes de la Virginie au début du printemps. J’ai vécu l’enfer d’un été particulier sur tous les états au nord de mon aventure. J’ai traversé des pâtures, des forêts denses et des sections au dessus des arbres. Et j’ai eu du mal, beaucoup de mal, à arriver à la fin de ce projet sans abandonner.
Que dire sur l’Appalachian Trail ? Le sentier est en soit plutôt varié. Des montagnes aux forêts dépourvues de feuilles avant le printemps, aux denses forêts qualifiants le chemin de tunnel vert, en passant par les étendues rocheuses, les marais et les champs, ce sentier sait ravir les amoureux de la nature… Tant qu’ils ne sont pas à la recherche de vues quotidiennes et époustouflantes.
J’ai probablement vu mes plus beaux sous-bois sur ce sentier et été plus challengé qu’attendu sur les nombreuses sections d’escalades qu’il a à proposer, mais ce n’était pas le type de terrain que j’attendais. Ne vous méprenez pas, j’ai pris beaucoup de plaisir sur toute la première moitié, ayant régulièrement de belles vues des forêts et monts alentours, mais ce n’était pas le cas du reste de l’aventure. En effet, au plus le tunnel vert s’installait, au moins il y avait de points de vue. Quand la fumée des feux du Canada est arrivée, il n’y en avait plus. Puis la fumée a laissé place à la pluie.
La pluie, parlons-en. J’ai passé la premiere partie de l’aventure globalement au sec. En effet, j’étais en pleine sécheresse. Ca m’a valu des moments où je devais porter jusqu’à 5L d’eau lorsque j’étais dans l’état de la Pennsylvanie, comme un clin d’oeil au PCT. Mais tout ça a vite changé lorsque la météo à retourné sa veste. D’un état de secheresse, je suis passé à un record historique de pluie. L’été le plus humide recensé depuis plus de 100 ans. 3 alertes dont 2 actuelles innondations et une alerte tornade en moins d’un mois. Les routes, le sentier, les ponts étaient détruits. La boue était devenue omniprésente ce qui rend la marche plus fastidieuse, garde les pieds sales et humide à longueur de journée en plus de régulièrement me faire chuter. Des flaques d’eau à foison où les moustiques prolifèrent par milliers et me font vivre un enfer. Une humidité constante qui, en plus de m’achever physiquement, garde tout le matériel bien humide jusqu’à le faire moisir (imaginez l’odeur). Et avec tout ça, il y a toutes ces journées où j’ai du marcher sous cette pluie. 44 jours pendant lesquels le ciel s’est acharné sur moi alors que j’étais en mouvement, sapant tout mon moral. C’est un total de 67 jours de pluie sur 164 que j’ai eu, dont 23 que j’ai réussi à éviter en atteignant l’abri avant que ca ne tombe ou en restant en ville, mais qui n’ont pas épargné l’état du sentier. Plus d’un jour sur trois. Un enfer, surtout pour quelqu’un comme moi qui redoutait la pluie.
À la pluie s’ajoute les problèmes de santé que j’ai pu avoir tout au long de ma traversée. Ça a commencé par les tendinites aux chevilles en début d’aventure, qui dieu merci ont fini par se calmer (je ne recommanderai jamais assez le podologue du sport Victor DEVAUX pour ses semelles et le temps qu’il m’a accordé alors que j’étais aux US). J’ai ensuite eu quelques soucis aux genoux en raison d’une mauvaise foulée. Quand ca s’est résorbé, c’est l’état de la Pennsylvanie qui a décidé que je méritais quelques inflammations aux voutes plantaires. Ca s’est calmé, mais le sumac a eu raison de mon dos dans le Connecticut, puis le Norovirus et ses diarrhées monumentales. Une semaine plus tard, c’était la maladie de Lyme. La semaine d’après, une nouvelle attaque du sumac. Puis le New-Hampshire qui a relancé et consolidé mes douleurs aux genoux et chevilles jusqu’à la fin de l’aventure. On peut dire que je n’ai pas été épargné.
Les tiques, parlons-en. L’hiver ayant été trop doux, ils étaient 300% plus nombreux qu’à la normale cette année, et leur taux de contamination à la maladie de Lyme avoisinait les 50%. J’en ai trouvé quelques uns sur moi, dont seulement deux d’attachés depuis moins d’une heure. Mais ils sont si minuscules (de la taille d’un grain de pavot) qu’ils sont presque invisible, surtout avec toute la boue. 6 personnes sur les 8 de mon groupe ont été infectés. Un fléau.
La dernière journée sur l’Appalachian Trail
Debout à 5h45, je range mes affaires dans un sac plastique que je met dans le coffre de la voiture de la mère de Squirrel. Je ne vais monter qu’avec le stricte necessaire de mon matériel car une ascension de presque 1300m sur 6km m’attend. Je mange mon petit déjeuner et à 6h57, je commence ma dernière journée. Le premier mile est plat, jusqu’à atteindre une cascade. De là, la vraie montée débute.
D’abord progressive, jusqu’à sortir de la forêt. Puis c’est parti pour un long passage sur de gros rochers. Je n’ai pas d’autre choix que de ranger mes bâtons de marche et de m’aider de mes mains. Il y a quelques échelles à même la roche, mais parfois, il faut faire son propre chemin. Ce n’est pas toujours facile car avec la pluie qui est tombée pendant la nuit, certaines paroies sont glissantes. Néanmoins j’arrive à maintenir un rythme correct.
La météo était un peu capricieuse, avec beaucoup de nuages et de vent. De temps en temps, j’avais une petite vue sur les alentours entre deux nuages mais c’était très bref. Et j’étais souvent trop occupé à trouver mes appuis et prises en escaladant les rochers pour vraiment pouvoir profiter du paysage. Après la longue section d’escalade, je me trouve sur un faux plat ascendant long de presque deux kilomètres. Les nuages sont toujours très présents et laissent quelques sporadiques points de vues dont je profite un maximum. Mais je ne vois pas le sommet de la montagne.
Après quelques dizaine de minutes de marche, j’atteins un faux sommet et le vent balaye les nuages du vrai sommet l’espace de 10 secondes. J’aperçois le monument. Il se trouve à 100m de moi et il marque la fin de ma randonnée. Je suis pris par les émotions. Presque fier de moi, mais pas encore. Il me reste ces quelques mètres. Ces derniers que je marche bien plus lentement, comme pour savourer ces derniers instants sur un sentier qui m’aura fait souffrir. Comme si chaque seconde avant de toucher ce panneau en bois était désormais une seconde de bonheur en plus sur cette aventure. Obnubilé par les formes de ce panneau, que je vois par intermittence, je trébuche et me foule la cheville gauche jusqu’à m’en faire tomber, à moins de 20 mètres de ce dernier. Je me relève en douleur, mais ca n’a guère d’importance. Tant que je suis en mesure de poser ma main sur ce qui va sceller une épopée de plus de 15 mois, rien d’autre n’a d’importance.
Je boite jusqu’à être à portée du panneau et j’y pose ma main. Voila. Juste comme ça, j’ai terminé. 2h41 de marche pour faire ce que j’imaginais faire depuis plus de 5 mois maintenant. Et je ne ressens presque rien. Probablement parce qu’il y a quelques touristes autour de moi, ou que je ne me rends pas encore compte de l’accomplissement.
164 jours d’aventure, plus de 3500km de marche, 10,3kg de perdu, 6176€ de dépensés, 14 états de traversés. J’étais le 881ème à commencer ce sentier, le 423ème à mi chemin, et le 387ème à le terminer. Mais c’est en fait bien plus que ça…
Ma « Triple Crown »
Toucher ce monument, pour moi, c’est bien plus que terminer l’Appalachian Trail. C’est finir ma version de la Triple Crown (la réalisation des 3 grandes rando aux US que sont le PCT, le CDT et l’AT). C’est terminer une épopée de 10500 km à pied en pleine nature, en 485 jours. C’est réussir à avoir tenu le coup lors de moments très difficiles physiquement ou psychologiquement. C’est avoir vu des paysages grandioses et de la faune intéressantes au travers de 22 états. C’est avoir porté ma maison tout du long et dépensé plus de 2 millions de calories en 18 millions de pas. C’est avoir rencontré des personnes de toutes les nationalités avec qui je me suis lié d’amitié.
C’est ma propre version de la Triple Crown, qui paraitra invalide aux yeux de certains car il me manque quelques sections du CDT, mais qu’importe. Ma Triple Crown qui témoigne de toutes les galères que j’ai réussi à surmonter et de tous ces moments où j’aurai pu abandonner, comme beaucoup le font, mais où j’ai tenu bon. Ma Triple Crown qui reflète ma propre aventure sur ces 3 randonnées hors norme. Ces dernières qui m’ont appris beaucoup sur les US, mais surtout sur moi même. Enfin, celles qui ont changé mon rapport avec la nature et avec autrui.
Cet accomplissement, il m’aura fallu quelques jours avant que je ne prenne conscience de son importance et de l’impact qu’il a sur ma vie. Ce sont des sensations indescriptibles de bonheur, de fierté, d’humilité et de tristesse qui m’ont animé pendant ces quelques jours après le sentier. Et je me sens redevable envers de très nombreuses personnes pour m’avoir aidé et soutenu tout au long de ces voyages. J’espère que ce blog et que mes différents guides apporteront quelque chose à la communauté; comme ma manière de rendre la pareille en aidant mon prochain à mon tour.
Malheureusement, je ne pourrai pas profiter trop longtemps au sommet. J’ai attendu que les nuages se dissipent mais la météo a empiré. La pluie s’est mise à tomber et après 3h d’attente en espérant que ça s’améliore, les risques d’hypothermie étaient trop importants donc j’ai entamé une longue et silencieuse descente.
Le positif
J’ai rencontré des gens incroyables. Tant chez les randonneurs, avec ma petite « tramilly » avec qui j’ai marché une grosse partie de l’aventure, ou les électrons libres avec qui j’ai fait quelques sections, que chez les trail angels ou habitants quelconque qui m’ont aidé à différentes reprises. Je pense par exemple à la très fameuse Miss Janet qui m’a permis de faire mon anniversaire chez elle, Mike qui m’a fait visiter son atelier de construction et réparation de violons, ou les parents de Friction qui m’ont accompagné aux urgences quand j’étais faible à cause de Lyme. Les amis que je me suis fait sont probablement la meilleure chose qui me soit arrivé sur l’AT.
J’ai pu voir, souvent de très près, de la faune intéressantes, comme les ours, des élans ou des serpents à sonnettes. La flore était très variée par endroits, et la diversité des champignons était impressionnante.
Les abri sont d’une grande aide, bien qu’ils aient leurs inconvénients. Ils sont généralement bien positionnés et aident à rester au sec. Ce sont des infrastructures faites main très utilisées et en plutot bon état, considérant l’âge de certains.
Les ravitaillements sont nombreux et complets ce qui permet de limiter le poids du sac en partant pour des sections plus courtes. Les options de slackpack sont aussi nombreuses pour ceux qui cherchent à reposer le corps tout en faisant de la distance.
Les villes sont nombreuses et ont connaissance du sentier. La plupart, offrent des infrastructures aux randonneurs ce qui est bien différent du CDT.
Il y a une certaine ambiance de fête tout au long de l’aventure, et il est courant de voir ou faire des choses qui sortent de l’ordinaire. Je pense aux toilettes doubles avec un plateau de cribbage au milieu pour partager un moment à deux sur le trône. Aux toilettes sèches avec une ventouse qui traine a côté pour aucune raison. Traverser un zoo, voir des poneys et des chèvres sauvages. Dormir dans une tour de guet ou sur un télésiège. Faire du canoë sur les lacs ou pour traverser une rivière. Trouver des prises électriques inutiles dans des abris, ou des vieux téléphones non reliés au réseau au milieu de nul part. Dormir dans un cinéma en plein air, attraper des serpents. Sauter d’un pont, faire un mini-golf en pleine nuit avec une lumière stroboscopique…
Le négatif
Je ne suis globalement pas content de ma randonnée. Et je ne suis pas satisfait d’une grosse partie du contenu que j’ai pu apporter sur ce site pendant les 5 derniers mois. Je m’explique : contrairement au PCT ou au CDT, il n’y a pas (ou très peu) de paysages grandioses et mes journées se sont principalement passées à regarder mes pieds. Que dire donc, dans mes articles si ce n’est « j’ai monté la montagne, je n’ai rien vu au sommet, puis je suis redescendu » ? Un contenu peu interessant, tout comme l’est le sentier la majeure partie du temps. J’ai souvent dit « la montée/descente était très raide » et je suis triste de constater que le chemin a particulièrement mal été foutu et que son entretien n’est que minime. Des montées et descentes en ligne droite alors qu’il est possible de faire des lacets pour éviter que ce ne soit trop raide, des sommets parfaitement inutiles car dépourvus de toute vue, des passages où le chemin n’existe tout simplement pas et ce n’est qu’un mur de roche sans aucune marches de creusées dedans. D’autres choses n’ont aucun sens comme l’état du chemin dans la Pennsylvanie, avec les millions de petits rochers pointus qui font croire que l’on marche sur des LEGO à longueur de journée alors que les sentiers adjacent sont très bien maintenu, ou les rondins de bois placés au dessus de quelques flaques de boue, mais qui n’ont pas été texturés et entraînent de dangereuses glissades lorsqu’ils sont humide. Ou encore les sections qui appartiennent à des organismes privés comme dans le New-Hampshire, où les randonneurs sont traités comme des moins que rien car ce ne sont pas leur porte-feuilles qui peuvent leur rapporter beaucoup d’argent dans leurs infrastructures aux frais obligatoires, mais ceux des touristes prêts à dépenser des fortunes pour dormir en dortoir.
La pluie, et l’humidité dans son ensemble, ont très largement influencé en mal mon aventure. Alors que les vues se faisaient rares, que les conditions étaient de plus en plus compliquées, que le moral était au raz des pâquerettes et que ma santé prenait un coup, les quelques points de vue qui m’étaient offerts étaient globalement dans les nuages. Sauf que c’est pour eux que je marche. Pour les grandes étendues, pour les sommets imprenables, les vallées sans fin, les lever et coucher de soleil… Choses que je n’ai que trop peu retrouvé.
J’ai aussi été confronté à une partie de la communauté que je n’apprécie pas particulièrement. Je m’explique : l’AT est souvent le premier sentier sur lequel les randonneurs longue distance s’essaient. C’est donc souvent là que nait le purisme de suivre le sentier dans son intégralité et de ne jamais regarder ce qu’il y a à coté; points de vue, batiments historiques, raccourcis, chute d’eau. Le purisme est une chose qui ne me dérange pas, mais il est parfois accompagne d’une certaine toxicité et d’un jugement à l’égard de quiconque oserai de pas faire chaque pas du sentier officiel, et ça, ça me dérange. Ces mêmes personnes qui n’hésitent pas à rabaisser ceux qui font des détours, ceux qui font du slackpack, ceux qui font quelques sections en marchant dans le sens opposé… C’est une mentalité qui me débecte car je trouve odieux de saper le plaisir et le fun de quelqu’un juste parce que cette personne n’a pas les mêmes attentes de la randonnée. Et des personnes comme ca, j’en ai trop vu, s’attaquer principalement aux débutants ou aux femmes, prétextant qu’ils allaient les sauver en leur apprenant comment randonner comme il faut. Souvent en racontant n’importe quoi. Une mentalité que j’ai déjà vu sur les autres sentiers, mais qui est bien plus courante sur celle-ci. Et je n’ai pas parlé des auberges de jeunesse qui pour certaines n’ont aucun scrupules à charger des sommes astronomiques pour des dortoirs ou des « services » et qui se disent « ami des randonneurs » alors qu’ils n’ont plus rien à proposer quand le porte-feuille est vide. Ou les hotels qui n’hésitent pas à faire des surcharges sur les cartes de crédit sous pretexte que le mobilier a été détruit mais qui se trouvent incapable de fournir des preuves. Le sentier est si bondé que de nombreux individus semblent tout faire pour soutirer un maximum de pognon aux randonneurs et débutants qui pensent que c’est la norme.
Enfin, j’ai eu beaucoup de mal psychologiquement pendant un peu plus de 3 semaines d’affilées. Je ne trouvais plus aucun fun, plus aucune raison de continuer l’aventure. Ce n’était que souffrance et ennuis sans retrouver les vues ou les rencontres avec les animaux sauvages qui aident à faire face aux durs moments. C’est un tout qui m’a poussé dans cet état d’esprit dont j’ai eu beaucoup de mal à sortir. Ça ne m’était jamais arrivé à cette intensité.
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Je suis globalement déçu de cette randonnée, probablement car ce n’est pas le type d’aventure que j’espérais, et probablement parce que les conditions n’étaient pas les plus clémentes cette année. Je suis tout de même content et fier d’avoir tenu jusqu’à la fin, et d’avoir pu vous fournir du contenu écrit et visuel, bien que globalement trop peu intéressant à mon goût. Je suis tout de même particulièrement content d’avoir pu faire les 3 principales grandes randos des US, me permettant de voir une grosse partie de ce gigantesque pays.
Il faut maintenant que je prenne le temps de refléter sur tout ça, et que j’offre à mon corps le repos qu’il a bien mérité.
Vous souhaitez préparer cette randonnée ? J’ai conçu un guide pour vous y aider !
Merci de m’avoir suivi sur l’Appalachian Trail.
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3 Commentaires
J’ai eu le plaisir de te connaître un peu à Bondues , désolé pour toi des désagréments de ton aventure mais au moins tu assumes . Par contre attention en ce qui concerne la maladie de lime surveillance optimale .Merci pour tes récits .
Bravo mec, tu restes une machine à marcher et maintenant bon repos chez Decat 🙂
bravo pour ces 3 randos