Jour 35 : mile 427,6
Je ne suis pas confiant du tout, mais il faut que je me remette en route. Je fais un taping complet de ma cheville droite, quelques etirements, et je prépare mon sac. Je fais mes au-revoirs à Wagon en lui chantant une chanson tout en jouant l’air de Creep par Radiohead, et ce pour le remercier de m’avoir appris les bases du ukulélé. Puis je prend la route, très lentement, vers le restaurant pour avoir la part de tarte gratuite qu’ils offrent aux randonneurs qui se remettent en route. Je mange une part de tarte à la pêche et à la myrtille et je reprend ma route sur le CDT. Je marche très lentement et je ne fais que de tout petit pas en assurant une bonne utilisation des bâtons de marche.
Le sentier n’est autre qu’une route de graviers et de poussière. Une grande ligne droite vallonnée sur laquelle je n’ai pas vraiment l’impression d’avancer, mais qui permet à mes chevilles de ne pas trop rouler sur les côtés. Le vent se lève et les bourrasques créées des petites tornades de poussière. Puis le ciel devient menaçant. De gros nuages noirs approchent et finissent par cacher le soleil. Le vent est de plus en plus fort et la température baisse rapidement.
J’étais en train de chanter à voix haute quand un homme est passé en voiture et s’est arrêté à ma hauteur. Il s’agit d’un brésilien qui est en train de créer un sentier comme le CDT mais au Brésil. Il interview tous les randonneurs qu’il croise pour collecter des infos pour planifier au mieux la création de ce nouveau sentier. Une dizaine de minutes plus tard et je reprend la marche.
A 17h30, je suis arrivé à destination, après 12,4 miles de marche. J’ai fait une pause de 20 minutes toutes les heures, précédé d’une séance d’étirements. C’est particulièrement frustrant de devoir faire une si petite journée, en marchant au ralenti comme je l’ai fait, mais je n’ai pour le moment pas vraiment le choix. Mon dos est toujours douloureux mais j’arrive à détendre les muscles avec quelques mouvements. Ma cheville droite était légèrement douloureuse mais rien de particulier. Ma cheville gauche a plutôt bien tenu le coup, si ce n’est sur les derniers mètres où j’ai commencé à sentir de nouveau quelques douleurs au niveau du tendon.
J’ai fait 45 minutes d’étirements et de massage, j’ai mangé, et je me suis couché vers 19h30, alors même que le ciel était en train de se dégager.
Jour 36 : mile 441,2
Je n’ai pas bien dormi. L’une des raisons, c’est que j’étais installé sur une propriété privée (pas d’autres choix !) et je n’avais pas vu qu’il y avait un ranch de l’autre côté de la route. J’entendais donc des voix et j’avais peur qu’on vienne me déloger. La seconde raison, c’est les courbatures. En 2 semaines de repos, j’ai perdu toute la masse musculaire que j’avais et je recommence donc tout de zéro, courbatures comprises. Je n’ai plus de doliprane donc je n’ai pas pu calmer tout ça, et je ne voulais pas prendre de codéine car ce n’était pas une situation d’urgence. Enfin, vers 1h, il s’est mis à pleuvoir. Après 35j sans pluie, j’essuie mes premières gouttes en pleine nuit, m’obligeant à installer la toile de pluie de ma tente en urgence. Au final, il n’y aura eu que quelques petites gouttes pendant une demi heure.
Je débute ma journée aux alentours de 7h30, sans douleurs particulières. Il fait un grand soleil et pas de vent du tout. Il fait par contre assez frais et je met une petite heure à me réchauffer complètement. Je longe d’innombrables ranch toutes délimitées par des barbelés, jusqu’à atteindre le ranch TLC. Une famille laisse une partie de leur parcelle aux randonneurs et offre de l’eau. Je mange une orange et une pomme, je bois beaucoup d’eau, et je reprend la route. Une fois de plus, toutes les heures je prend une 20 aine de minutes de repos pour faire de nombreux étirements, massages et élever mes pieds.
Je suis toujours sur la même route, droite et ondulée. Ce n’est pas intéressant du tout. Puis la route descend vers une vallée très aride. Sur la route, il y a un cimetière que je visite en quelques secondes car il n’y a même pas 10 tombes toutes recouvertes de terre craquelée de sécheresse.
En arrivant en bas de la colline, le vent se lève et commence à me faire perdre l’équilibre. Il soulève beaucoup de terre et de sable qui viennent me fouetter le visage et me piquer les yeux.
Un peu plus loin, je sors de la route pour récupérer un peu d’eau dans un puit qui fonctionne à l’énergie solaire. Elle est très fraîche et c’est agréable, mais lorsque je m’assois, le vent propulse du sable dans mes yeux écourtant cette pause.
Je continue cette interminable route qui suit une ligne droite à perte de vue. Je suis maintenant sur un plateau sans ombre et sans moyen de me mettre à l’abris du vent. Ce dernier qui redouble de force et me rend chèvre. Mes chevilles commencent toutes les deux à me faire mal, de même qu’une douleur sur le dessus du pied droit commence à me lancer. C’en était trop. Le vent et la douleur m’ont poussé dans mes retranchements. J’ai complétement craqué, hurlé et pleuré tant j’étais à bout. Je me suis assis, parfaitement seul et ai milieu de nulle part, et j’ai listés mes options. J’étais prêt à abandonner le trail. Mon corps ne semble pas d’accord pour continuer l’aventure, bien que mon esprit soit déterminé à continuer. Alors, que faire ? Si j’abandonne, c’est pour faire quoi ? Je suis perdu. Au loin, je pouvais voir le Mont Taylor, la première vraie montagne à gravir sur le CDT. Elle se trouve dans une forêt nationale, je ne pourrai donc même pas y aller. Ça me bouffe encore plus le moral.
J’étais perdu dans mes esprits quand 5 lamas sont arrivés de derrière moi. Sortis de nul part, Ils se sont approchés de moi. L’un d’eux est venu renifler ma main avant de rejoindre les autres. Ca m’a redonné un peu de courage. Je me suis levé et j’ai marché avec eux le long de la route.
J’ai fini par m’arrêter de fatigue. Les lamas ont continué leur route. J’ai essayé de monter ma tente mais le vent réussissait à faire sortir de terre les sardines tant il était fort. J’ai fini par abandonner et par m’installer dans le fossé, pour limiter ma prise aux au vent. Je suis contraint de dormir à la belle étoile et je ne peux pas utiliser mon réchaud pour me faire un bon repas tant ca souffle. Aujourd’hui, j’ai atteint un point bas que j’espère ne plus jamais atteindre.
Jour 37 : mile 18,8 du détour Cebolla
Le vent s’est calmé 1h après le coucher du soleil, laissant place à un silence absolument parfait. J’ai à peu près bien dormi à l’exception que, le fossé étant en cuvette, je trouvais difficilement des positions dans lesquels j’étais à l’aise. Je me suis réveillé vers 1h, en pleine nuit sombre et sans lune. J’ai pu observer un ciel d’une beauté incroyable. Je pouvais voir la voie lactée sans aucuns soucis et j’avais une vue imprenable sur les étoiles filantes et les satellites. J’étais subjugué par la magnificence de ce spectacle. Le tout dans un parfait silence, j’en avais quelques vertiges.
Je me met en route vers 7h alors que le soleil montait progressivement dans le ciel. Il n’y avait pas du tout de vent et il faisait dessus, c’était très plaisant. J’ai continué cette interminable ligne droite, croisant à nouveau les lamas. A 9h, quand le soleil commençait à taper, le vent a repris comme la veille. Je pense que c’est à cause du champs de lave qui se trouve au fond de la route. Libérant énormément de chaleur, ça doit provoquer de gros déplacements d’air.
Je n’ai pas de grosse douleur aux tendons. Je sens juste beaucoup de tension que je tente de calmer avec des étirements et massages. J’ai par contre de très grosses courbatures aux fesses, cuisses et mollets. Je fais pas mal de renforcements en concentriques, ce qui fonctionne plutôt bien mais travaille beaucoup le muscle, d’où les courbatures.
J’atteins finalement la fin de cette route, mais ce n’était pas la fin de mon calvaire. J’entame alors une marche le long d’une départementale. Le début d’une des plus longue marche sur du bitume. J’avais 3 options. La première, c’est de continuer sur le CDT, qui traverse le champs de lave, est substantiellement plus long, et n’a que très peu de ravitaillement en eau. Ayant déjà fait ce genre de traversée sur le PCT, je sais à quel point c’est brutal sur le corps, sur le matériel, et à quel point il fait chaud sur ce genre de section. De plus, porter de l’eau pendant 26 miles (soit 2j de marche à mon rythme), et être si loin d’une route alors que mon corps est encore fébrile, ça ne m’enchantais pas trop. La seconde option, c’est de prendre le détour Cebolla, qui sur une route de gravier, fini par rejoindre la départementale 117 jusque Grants sur plus de 30 miles. La troisième option, que j’ai choisi, c’est de suivre le CDT jusqu’à la départementale, et de la remonter jusqu’à Grants, pendant 38 miles. Ca rejoint le détour de Cebolla, c’est plus court de 4 miles, et c’est surtout le long d’une route sur laquelle je peux faire du stop si ça ne va pas ou si je manque d’eau. Le voilà donc à marcher sur du bitume en plein cagnard, me déportant sur le côté lorsqu’une voiture arrivé en face. Je devais constamment garder les yeux sur la route pour être certain de voir chaque voiture arriver.
La marche était absolument interminable. On parle d’une ligne droite de presque 10km. C’était dur pour mon corps, dont mes genoux commencaient à me faire comprendre qu’ils étaient obligés d’amortir chaque pas, dur pour mon esprit qui ne voyait pas la route défiler, et dur pour les chevilles qui progressivement s’enraidissaient.
En temps normal, j’aurai fait du stop pour passer ce genre de section inintéressante et douloureuse, mais j’ai besoin de me refaire du muscle et de tester mes chevilles si je veux pouvoir essayer de continuer l’aventure. Une pause à chaque début de douleur, pendant laquelle je faisais des étirements, des massages, et je mettais mes pieds en l’air, m’a permis de pousser jusqu’aux tables de pique-nique du détour Narrows rim. C’est un détour un peu plus long, sur le détour de Cebolla, qui permet d’éviter de marcher sur la route et qui à priori offre de très belles vues.
Je campe sur les 100 premiers mètres de ce détour, profitant d’un magnifique coucher de soleil sur le champs de lave. Peu après que le soleil se soit couché, le vent s’arrête à nouveau. Il fait très bon ce soir, et je suis particulièrement content de la distance que j’ai réussi à faire aujourd’hui. Environ 16,5 miles. J’en ferai beaucoup moins demain pour laisser du repos à mes chevilles. J’ai aussi eu le plaisir de faire mes besoins dans les toilettes sèches de l’aire de pique-nique et j’ai quémandé un peu d’eau à des passants car j’étais en train de tomber à sec.
Je me sens bien mieux aujourd’hui, et peut être que mon corps va me permettre de continuer la marche. Quelques ibuprofènes et je m’endors sous un beau ciel étoilé.
Jour 38 : mile 525,2 – Lava Flow Hostel à Grants
Je me suis réveillé en pleine nuit avec une fois de plus un ciel absolument somptueux et une incroyable vue sur la voie lactée.
J’avais prévu une petite journée : je me suis levé vers 7h pour un départ une demi heure plus tard. Pour la première fois depuis 4 jours, le sentier prend un peu d’altitude. C’est un sentier de sable et de grosses pierres dont beaucoup roulent sous mes pieds. Je fais quelques pas où je manque de me faire une cheville mais mes bâtons de marche me permettent d’éviter la catastrophe. En quelques minutes à peine de montée, je commence à avoir une très belle vue sur tout le champ de lave en contrebas. À force de zigzaguer le long de la paroi, j’ai quelques vues sur les falaises orange et blanche. C’est un magnifique détour que je ne regrette aucunement d’avoir pris ! D’autant plus qu’au bout du chemin, j’ai une vue imprenable sur une arche naturelle dans la pierre.
Je suis arrivé à la fin du sentier officiel et j’aurai donc du faire marche arrière sur presque 4 miles puis marcher le long de la départementale de nouveau jusqu’à l’arche, mais de nombreux randonneurs ont tenté de créer un chemin qui descend le long de la falaise jusqu’à la route. Il n’y a pas de chemin bien balisé, juste quelques petits tracés marqués par des cairns. Je m’aventure sur l’un d’eux et me voilà en train de descendre le long d’une dangereuse falaise, très raide, et dans laquelle chaque pas me fait glisser de quelques centimètres à cause du sable et des petits rochers.
Après un bon quart d’heure à faire très attention à chacun de mes pas, j’atteins la route sur laquelle je retrouve Wildman, que j’avais rapidement croisé à Pie Town. Il a fait une chute de 2m sur cette descente et s’est blessé une cheville. Il a aussi reçu un message de Rock Hunt qui était passé un peu plus tôt le matin et qui a fait une chute d’un peu plus de 3m. Il a du s’arrêter en utilisant ses bâtons de marche comme un piolet. Je suis bien content de ne pas m’être blessé !
Parlant de douleurs, j’en ai un peu le matin, puis c’est plus des gènes et grosses tensions le reste de la journée. D’ailleurs, les 25 miles qui me restent jusqu’à Grants ne sont que sur la départementale. Je n’étais absolument pas ravi de cette nouvelle donc j’ai pris la décision de marcher jusqu’où le CDT rejoint le détour de Cebolla sur lequel je suis depuis hier, puis de faire du stop jusqu’à la ville et reposer mes chevilles encore quelques jours. Je sens que mon tendon en a besoin, et mes courbatures apprécieront elles aussi. Wildman était sur la même longueur d’onde.
Il restait 5 miles à faire en plein cagnard, et nous étions en train de tomber à cours d’eau. Alors on a agité nos bouteilles vides lorsqu’une voiture passait. La 4 eme voiture s’est arrêtée et nous a donné 1L et une banane chacun. C’était très fortement apprécié !
Une fois de retour sur le CDT, on a fait du stop. La première voiture qui passait s’est arrêtée et nous a pris tous les deux. Quelle chance ! L’arrêt obligatoire était le subway qui se trouvait à meme le sentier. J’ai mangé un bon sandwich et on s’est remis à faire du stop pour les 6 derniers miles jusqu’au centre ville. Une femme s’est arrêtée pour nous donner des bouteilles d’eau fraiche qu’elle venait d’acheter quand elle nous a vu en plein soleil. C’était vraiment adorable de sa part ! Une petite demi heure après, un homme nous a pris en stop et nous a déposé au Lava Flow Hostel, une auberge de jeunesse pour les randonneurs. C’est très simple comme lieux mais il y a une bonne ambiance. J’ai pu faire une lessive et une douche. J’aurai pu retirer quelques kilogrammes de terre et sable de ma peau et de mes vêtements que je n’aurai pas été étonné !
Le soir, le propriétaire du site nous a préparé des hot-dogs maison. C’était un régal !
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2 Commentaires
Bonjour Baptiste,
Je te suis à travers tes messages et je reste silencieuse depuis ton départ …
Je ne sais pas quoi dire face à ton courage, ta détermination et aussi ton doute quand tu évoques les moments difficiles.
J’espère qu’avec ces nouveaux paysages qui s’annoncent plus aimables en ce jour 38, le sentiment de plaisir va prendre peu à peu sa place et adoucir ta souffrance physique quasi omniprésente.
Tu as besoin d’être nourri à tous les niveaux sur ce long chemin.
L’eau, les repas, les nuits étoilées, les lamas, les compagnons de route, le repos, les soins sont autant de nourritures nécessaires à la poursuite de cette aventure. Tu es guidé par tes choix que tu prends seul, face à toi-même la plupart du temps. Que c’est difficile !
Je te souhaite plein de petits et grands bonheurs tout au long de ce périple et quelle qu’en soit l’issue, sache que tu nous donnes une grande leçon de vie, de courage et d’écoute de soi.
Prends soin de toi, amicalement
Sylvie Soyeux
Bonjour Sylvie
Je suis content que l’aventure te plaise ! Ce n’est pas terminé, de niveaux articles arrivent. J’espère qu’ils te feront vibrer autant que les derniers 😉