Reprise de la marche dans les montagnes, en direction du Colorado Trail. Ça promet des vues spectaculaires, mais aussi une certaine intensité. Prêt pour un voyage à 4000m d’altitude ?
Jour 49 : mile 846,9 – Repos à Pagosa Springs
C’était censé être une journée de repos mais cette ville n’est pas vraiment adaptée pour ça… Le magasin est à 3 miles de l’hôtel et le bureau de poste à 2 miles de l’autre côté. J’ai marché un bon 5 miles aujourd’hui, malgré les quelques trajets en taxi. Ça paraît peu, mais sur du béton et pendant une journée de repos, ce n’est vraiment pas terrible. J’ai d’ailleurs quelques douleurs qui sont apparus sur l’avant des tibias. Je penche vers de simples courbatures car j’ai marché assez vite la veille, travaillant les muscles différemment, mais je n’en suis pas certain.
On a donc ravitaillé, puis je suis passer à la poste pour récupérer un colis : des écouteurs. J’ai fini par acheter des écouteurs alors que j’apprécie beaucoup écouter des podcasts et de la musique sur hauts parleurs, en espérant que cela préserve un peu mieux ma batterie. On verra ce que ça donne sur la prochaine section. Le postier m’a donné mon colis mais il m’a aussi tendu un Subway que sa fille lui avait déposé quelques minutes plus tôt. Il avait déjà mangé et il m’a dit « tu as plus besoin de calories que moi vu l’aventure que tu fais ». C’était vraiment très gentil et inattendu de sa part ! Première fois que je me fais livrer un Subway par la poste.
Ensuite, j’ai profité des sources d’eau chaudes naturelles de la ville. C’était si chaud que j’avais du mal à rester dedans ! Mais ça a un peu détendu mes muscles. Elles ont une odeur très prononcé de soufre, et sont supposées être régénératrices pour le corps.
Enfin, je suis rentré à l’hôtel pour boire des bières, manger des fraises, de la pastèque et des cerises avec de la chantilly, et je me suis couché.
Jour 50 : mile 856,6
Je me lève en même temps que les autres, je range mes affaires, et on se met en route vers le bout de la ville pour faire du stop. Nous sommes 4, ce n’est donc pas facile d’être pris, mais l’état du Colorado est connu pour être assez sympa envers les randonneurs. On marche un peu plus de 3 miles pour sortir de la ville et on commence à faire du stop. Une bonne heure plus tard, un homme avec un grand van s’arrête et nous indique qu’il passe d’abord voir une chute d’eau sur la route avant d’aller jusqu’au sentier. On est intéressé par la proposition d’y faire un tour, donc il nous prend avec lui.
Au milieu du trajet, on arrive au niveau des cascades Tresure Falls. On grimpe un peu jusqu’à voir la cascade. C’était sympa et nous étions seuls. Ça m’a un peu rappelé les cascades de Yosemite Valley quand j’étais sur le PCT. Puis il nous a déposé là où nous nous étions arrêtés.
Le sentier monte assez brutalement et rapidement, je commence à me sentir à bout de forces. Puis je passe de l’autre côté de la montagne, face nord, et ca dégénère. Je passe mon temps à glisser sur la neige et à chuter, à glisser dans la boue, à devoir escalader par dessus des arbres qui bloquent le chemin, à devoir faire de grands pas pour monter les marches creusées à même la terre, et je le fais harcelé par des mouches et moucherons qui s’écrasent dans ma bouche, dans mes yeux, et un peu partout sur mon visage. A ça s’ajoute les quelques gouttes de pluie de temps en temps, le soleil qui passe son temps à jouer à cache-cache tantôt me faisant sueur, parfois me faisant grelotter. Le tout pris d’une énorme fatigue physique.
Je n’ai absolument aucune force. Je tente de prendre de la caféine, de manger des barres de céréales, des bonbons pour du sucre rapide… Rien n’y fait, je ne retrouve pas de force. En plus de ça, il n’y a pas vraiment de beau paysage à apprécier. Je pousse sur mes muscles jusqu’à arriver à un lac vers 15h30, après près de 10miles de souffrance. Je suis exténué, je ne peux plus continuer. J’installe ma tente et je mange des lasagnes lyophilisées. Je suis rejoins par Stallion et Wildman qui n’avaient pas non plus envie d’aller plus loin. Ils s’installent eux aussi. On est aller tremper nos pieds dans l’eau avant que je me rende compte qu’une bonne vingtaine de sangsues étaient en train de s’accrocher sur mes jambes. Du moins, ça ressemblait beaucoup à des sangsues. Ça a vite écourté la baignade.
Pendant qu’on était en train de faire nos étirements, on aperçoit au loin un groupe de 6 chevreuils, dont 3 jeunes. On décide de ne plus bouger ni de faire de bruit. Ils s’approchent lentement et finissent par nous contourner à une vingtaine de mètres. C’était vraiment adorable et ca m’a redonné le sourire, malgré les douleurs aux tibias. Ils sont revenu un peu plus tard et on s’est rendu compte qu’ils étaient particulièrement attirés par l’herbe où nous avions vidé nos vessies. Vous voyez où on va ?
Un groupe de 16 avec 7 jeunes sont arrivés un peu après. On pouvait parler et faire des petites mouvements sans qu’ils prennent peur. Ils s’approchaient à une petite dizaine de mètres. On a eu la grandiose idée de pisser juste derrière nous et d’attendre que l’un d’eux s’approche à moins de 2m, pour pouvoir faire un selfie. Et bien… Ça a fonctionné ! Ces instants en contact avec la faune me font chaud au cœur. Je me couche donc le cœur un peu plus léger qu’au matin.
Jour 51 : mile 873,8
J’ai passé une excellente nuit, et je suis content de me réveiller sans douleurs aux tibias. C’étaient donc bien des courbatures. Début de journée par une grande montée offrant une très belle vue sur le lac autour duquel on a dormi. Au sommet, j’ai un peu de mal à respirer mais je profite tout de même de la vue sur les montagnes qui m’attendent. Ensuite, le sentier part sur 4 miles un peu vallonnés. C’était assez simple d’avancer sur un terrain pareil et j’ai réussi à marcher assez vite.
A la suite de ça, on part sur une longue et beaucoup trop raide montée jusqu’à 3950m d’altitude. Je n’en voyais pas la fin, à faire des lacets sur une paroie de pierres assez raide, mais la vue au sujet était à couper le souffle. Une vue à presque 360 degrés sur les innombrables et immenses montagnes du Colorado. J’ai eu beaucoup de mal à respirer sur la fin et Wildman qui était derrière moi était obligé de s’arrêter toutes les deux minutes pour reprendre son souffle. Nous ne sommes pas encore habitués à la haute altitude.
On a par contre pris la décision de ne pas suivre le chemin alternatif vers la ville de Creed. C’est un raccourcis qui est plus court que le CDT de 80 miles (130km) mais qui évite surtout la plus belle section du Colorado. Beaucoup de personnes le font pour aller plus vite et parfois pour éviter la neige quand ils commencent le Colorado trop tôt dans la saison mais c’est vraiment dommage.
Avant qu’on quitte le sommet, Leo, que j’avais croisé à Grants, nous a donné un cachet infusé a 10mg de THC. C’était parfait pour calmer les douleurs qui commençaient à apparaître sous mon gros orteil gauche. C’était aussi sympa de planer un peu sur la fin de journée et de voir les couleurs un peu plus vives. Les paysages étaient absolument somptueux. Le sentier beaucoup moins ! Pendant 7km, je n’avais que 20cl d’eau. J’étais tellement en altitude qu’il n’y avait pas de sources, et toute la neige avait déjà fondu. Et le reste des montées de la journée étaient beaucoup trop raides, brûlant les jambes au bout de quelques secondes.
Je suis tout de même arrivé au campement, juste après une petite source d’eau, aux alentours de 17h30. Mes pieds étaient vraiment douloureux mais ça en valait le coup ! Le campement surplombait toute une vallée et le coucher de soleil était parfait. J’ai passé une excellente journée, mais je n’arriverai pas à faire ce genre de distance tous les jours pour le moment, surtout quand il faut faire 1250m de dénivelé positif.
Jour 52 : mile 888,7
Très mauvaise nuit. D’une part à cause de l’inclinaison du terrain sur lequel j’ai installé ma tente, d’autre part à cause du vent qui s’est levé en pleine nuit et menaçait de retourner ma tente tant c’était violent. Un quart d’heure après avoir rangé toutes mes affaires, le vent s’est calmé et a laissé place à un lever de soleil tout aussi incroyable que le coucher de soleil d’hier.
Les premiers miles sont assez simple. Du plat, du faux plat, et quelques montées assez brèves. Je me sens planer. J’ai l’impression d’être en train de vivre un rêve pendant toute la matinée. Le paysage est somptueux ! Des montagnes à nues, des cascades, des crêtes, des forêts, et des vallées toutes plus longues les unes des autres. Les petits nuages qui se forment rendent le paysage envie plus impressionnant. Jusqu’à ma pause du midi, j’ai vraiment l’impression d’être dans un rêve. Je suis émerveillé. Je n’ai aucune douleurs, et c’est sans doutes une des raisons de mon bien être.
Je m’installe juste avant Knife Edge pour faire ma pause du midi et attendre Stallion et Wildman. Knife Edge (lame de couteau) est la section la plus dangereuse du Colorado, voir de tout le CDT. C’est un chemin peu large dont le côté droit est une chute assurée de 300m de haut. C’est considéré comme un passage encore très compliqué à cause de la neige. Knife Edge sur le PCT est ma section préférée. Au nord de l’état d? Oregon, c’est une section qui offre un panorama absolument époustouflant. J’étais donc très impatient de faire cette section sur le CDT. Malgré la neige, j’étais assez confiant et je n’avais qu’à prendre mon temps.
Stallion est arrivé même pas 10 minutes après. On a fait une sieste en attendant Wildman. Sauf qu’on a été réveillé après une sieste de 1h30 par quelques gouttes de pluie et du toner. Le temps avait complètement changé. De gros nuages noirs approchaient dangereusement, le vent s’était levé et il commençait à faire froid. Toujours aucune trace de Wildman. On l’avait aperçu à 1 mile de nous avant de commencer notre sieste. Il aurait déjà dû être là ! Sauf qu’il y a une petite romance entre lui et Man O’ War. Elle commence à marcher un peu plus tard. On a donc conclu qu’il était en train de l’attendre. Nous devions de toute façon nous activer; on était à 3650m d’altitude, ce qui n’est vraiment pas rassurant quand il y a un orage.
On se remet rapidement en route à deux, marchant très rapidement sous une petite pluie, tout en gardant un œil derrière nous qui cas où Wildman arrivait. On était particulièrement préoccupé par lui car il n’a aucune expérience en montagne. On fini par arriver au niveau de Knife Edge. Les éclairs tombaient de l’autre côté de la montagne et la pluie s’était arrêter. Le ciel était encore assez menaçant mais au loin, ça semblait s’améliorer. On a donc commencé cette section. Après quelques mètres de marche à peine, on est confronté à un mur de neige à escalader. Une glissade aurait été fatale. Stallion n’était absolument pas partant pour faire ça et a décidé de rebrousser chemin et de redescendre dans la vallée pour contourner ce passage. De mon côté, j’étais assez confiant et le challenge me faisait palpiter. J’ai donc continué ma route. Sauf qu’en haut de ce mur de neige, que je devais maintenant traverser dans sa largeur sur un bon 20m, il s’est mis à pleuvoir, fort. Les pierres vers lesquelles je me dirigeait n’étaient pas encore trop humide et glissantes, mais elle venaient de le devenir en quelques secondes. La pluie s’est transformée en grêlons, le vent s’est levé et un bruit de toner a retenti. Merde. Je suis sur la section la plus dangereuse en pleine tempête !
Je m’accroche à la falaise autant que possible et assure chacun de mes pas. Quand la paroie n’est pas utilisable, je plante ma main gauche dans la neige et j’essaie de me faire une prise. Je creuse de grosses marches pour mes pieds et j’avance très lentement. Je tente de me concentrer sur mes pieds plus que sur le paysage alentour mais bordel que c’est beau ! La verticalité ajoute du piment. Au loin, je vois le lac au soleil ce qui m’indique que le gros nuage ne devrait pas tarder à disparaitre. Je continue jusqu’à arriver sur le sentier, plein de pierres. Ça glisse pas mal donc je longe laparoie, sauf quand un arbuste est en plein milieu me forçant à marcher à quelques centimètres à peine du bord. Si proche d’une chute, je sens mon cœur battre comme jamais. J’ai une montée d’adrénaline fénomenale. J’arrive sur le second pan de neige, tout aussi raide. Pas de paroie pour me tenir. La peur prend petit à petit de la place en moi mais je garde mon sang froid. Je reduit la taille du bâton de marche en amont pour avoir une meilleure prise. Je déconnecte complètement mon cerveau de tout ce qui n’est pas essentiel et l’intégralité de ma concentration va sur mes pieds. Un coup de toner vient craquer juste au dessus de moi, me faisant un peu sursauter mais je ne me déconcentre pas.
J’arrive de nouveau sur le sentier en pierres, dont une vient rouler sous mon pieds. Mes réflexes sont au top et je ne m’ébranle pas d’un centimètre. Troisième paroie de neige, encore plus longue et plus raide que les précédentes. Je suis presque allongé sur la neige tant c’est raide. Je plante mes bâtons autant que possible et m’assure de chacune des prises que j’ai avant de décoller mes pieds. Je suis d’ailleurs content que Rockhound m’ait donné ses ronds en plastique a mettre au niveau de la pointe du bâton pour éviter qu’il ne s’enfonce trop profond. Ses embouts étaient trop grands et me faisaient perdre en adhérance, mais j’ai utilisé mon couteau pour les retailler hier, me plantant d’ailleurs la lame dans le pouce gauche sur un bon centimètre.
Quatrième pan de neige. Cinquième. Mon cœur est à la limite d’exploser, je me sens vif comme jamais, mes capacités physiques et mentales sont décuplées. Sixième. Arbustes à contourner. Septième. Et me voilà en plein soleil, sorti de cette section très challengeante. Je m’assoie, toute la pression retombe d’un coup, je n’ai plus aucune force, je tremble. Quelle aventure. Il m’a fallu une bonne heure pour me remettre de tout ça. J’ai aujourd’hui atteint ma limite en terme de prise de risque et de danger tolérable. Mais que je suis content de l’avoir fait, d’avoir poussé mon corps et mon esprit au maximum dans leurs retranchements, de m’être prouvé à moi même une fois de plus que je suis capable de faire des choses incroyables. De voir que mon corps s’est parfaitement adapté à l’urgence de la situation, omettant complètement la douleur du froid de la neige sur ma main par exemple. Je suis fier de moi.
Je n’était pas au bout de mes surprises. Un nouveau nuage noir approche. On avait pourtant vérifié la météo le matin même et c’était censé être une journée magnifique. Mais la pluie fait de nouveau son apparition. Le sentier monte à nouveau de manière très raide jusqu’à me forcer à escalader un mur de neige de presque 10m de haut. Marche après marche, j’arrive à monter au dessus. Pendant la descente, j’avais l’impression de tout vivre à 200%. Chaque bruit résonnait dans mon corps. Les paysages me coupaient le souffle. La musique sur j’écoutais me faisait trembler. Jusqu’à arriver au campement, j’étais on ne peut plus vivant.
Une fois installé au campement, je me suis écroulé. Fatigue, stress, adrénaline, rationnement en nourriture. Tout a agit en même temps. Je me suis fait bouffer par des centaines de musiques avant de rentrer dans ma tente. Je rationne ma nourriture car j’avais prévu d’aller à Silverton, après 6j de marche. Mais c’est un détour de 18 mile au total. Pour éviter ça, je peux limiter ma nourriture et pousser 2.5j de plus jusqu’à Lake City. Je verrai sur le moment.
Wildman et Man O’ War arriveront finalement au campement, vers 21h. Quelle journée.
Jour 53 : mile 903,2
De nouveau de grosses douleurs aux cuisses en pleine nuit. Ça fini par passer mais ça casse un peu mon cycle de sommeil. Début de journée par une montée interminable avec 850m de D+. On devrait dit avec Stallion qu’on allait la faire d’une traite, sans pauses. C’est mission réussi ! 3h de montée. Il y avait quelques arbres à enjamber au début, dont un qui s’est mis à rouler. La branche à laquelle je me tenais a casser. Mon bâton de marche a glissé. J’ai fini par tomber, arrachent un peu mon pantalon et égratignant mes mollets. Rien de bien trop important.
Pendant cette montée, il y avait quelques passages avec des petits buissons qui barraient la route. C’était douloureux de devoir passer a5 travers, surtout qu’ils sont vraiment rigide ! Je suis bien content d’avoir un pantalon, car tous les adeptes du short ont les jambes en sang.
Au sommet, on a une soutenance vue sur les montagnes et plateaux environnants. On voit notamment une chaîne de montagne au loin qui fait un peu penser à la chaîne du Mont Blanc. La vue à 3900m ne déçois jamais ! La descente par contre, c’est pas aussi fun ! Ça titille un peu le genoux gauche par exemple. A chaque nouvelle douleur, c’est à dire tous les jours, on a tendance à partir en paranoïa. Je dis on car c’est un sentiment partagé par beaucoup de monde.
La descente me donnera de nouvelles ampoules sous les ampoules que j’avais déjà. C’est pas bien grave, je m’y fait. Par contre, on retrouve de nouveau les petits buissons douloureux. Beaucoup plus. Et pour couronner le tout, des nuages de centaines de moustiques ! En reprenant de l’altitude pour atteindre un immense plateau, on laisse ces saloperies derrière nous.
Je fini par arriver à une petite rivière autour de laquelle Stallion mangeait son repas. J’ai fait de même, tout en limitant ma consommation. Au réveil, j’ai mangé 6 oreo dans du Nutella, et j’ai grignoté une seule barre sur toute la matinée. Le ventre commence d’ailleurs à me faire savoir que ce n’est pas suffisant. Je pense avoir perdu au moins 2 kilo depuis le début des montagnes, et ca ne m’étonnerait pas que je sous estime ça. En voyant mon ventre le soir, je vois une énième différence, et j’ai déjà dû reserrer ma ceinture 4 fois. Le soleil tapait sévèrement par contre. J’avais l’impression de brûler sur place, bien plus que dans le désert. L’altitude doit y être pour quelques chose.
En me remettant en route pour encore plus de descente, j’ai commencé à sentir à nouveau mon tendon à la cheville. Ça n’empirait pourtant pas jusqu’à maintenant… Au bout de quelques minutes et un craquage de cheville plus tard, la douleur disparait. Je fini par atteindre une immense plaine en pleine vallée. C’était vraiment superbe, surtout que ça offrait une vue sur « la fenêtre », un grand trou dans une falaise que je vois depuis 3j maintenant et que je devrais approcher demain.
La journée se termine par une montée avec 300m de D+, beaucoup trop raide. Je suis à bout de force car je ne mange pas beaucoup. J’utilise beaucoup les bâtons de marche. La poignée de l’un d’entre eux fini par se décoller. Je tenterai de le réparer avec de la glue le soir. On verra demain si ça tient. J’arrive au niveau d’une petite plaine qui est marquée sur l’application comme un lieu où il est possible de voir des élans. Je suis très excité à l’idée d’en voir un car c’est l’un des animaux que je souhaite absolument rencontrer (de loin). J’installe ma tente et je prépare à manger. Stallion et Wildman arrivent peu après et font de même. Puis Lauren, Rattler, Moonshine, Cream, Man O’ War, Jim et Tiempo arrivent. Ils voulaient eux aussi voir un élan. On s’est donc tous retrouvés pour camper. On ne verra pas d’élan mais 3 chevreuils qui feront le tour du campement.
Les moustiques sont par contre un fléau ! Il y en a beaucoup trop. J’étais en train de recoudre mon pantalon quand j’ai essayé d’en écraser un qui me piquait. J’ai un peu raté mon coup et je me suis planté l’aiguille dans le creux de la main sur ce qui semblait être un centimètre. Je n’arrivais pas à la retirer avec mon autre main donc j’ai utilisé mes dents. J’ai eu de la chance que ça ne touche ni os, ni tendon. J’ai une petite douleur mais rien de bien grave. J’ai décidément un don pour me blesser…
Jour 54 : mile. 918,1
Réveillé en pleine nuit par de grosses douleurs aux cuisses, j’en ai profité pour regarder le beau ciel étoilé des montagnes. C’était un très beau spectacle, mais la presque pleine lune illuminait trop les environs. Je me lève vers 7h, après une nuit peu réparatrice. Départ une demi heure plus tard pour continuer la raide montée que j’avais commencé la veille. Pas mal pour s’échauffer. Je suis notamment passé au pied de la fenêtre, et j’y ai vu un loup, ou un coyote, qui s’éloignait de moi. Arrivé au col, j’ai découvert une vallée époustouflante. Je n’arriverai pas à décrire la beauté du paysage. J’espère que les photos donneront un bon aperçu.
Le sentier redescend dans la vallée et longe quelques lacs. Les moustiques sont de sorti donc je n’ai pas fait beaucoup de pauses ! Les petits buissons sont aussi toujours présent, pour le plus grand bonheur de mes jambes qui souffrent de griffures à chaque fois.
Une longue (et toujours beaucoup trop raide!) montée plus loin et j’arrive à un col de montagne face à trois grands rocs. De massifs montagnes rocheuses qui laissent apparaître d’impressionnantes parois. Au dessus d’elles, des nuages menaçant était en train de se former. Je suis resté 45 minutes assis à regarder ce grandiose spectacle de nuages noirs se formant et se déversant de l’autre côté de la vallée. Certains étaient menaçant juste au dessus de moi donc j’ai mis mes vêtements de pluie au cas où. Le vent s’est levé, donc j’ai préféré continuer ma route.
Redescente dans la vallée des montagnes rocheuses en suivant un ruisseau. J’arrive sur une petite section où il faut marcher sur des pierres. C’est d’habitude long, fastidieux et douloureux, mais le sentier a extrêmement bien été fait a cet endroit là. Les pierres sur lesquelles on doit marcher sont toutes plates, contre des tuiles. C’est beau et très plaisant.
J’arrive au campement à 16h, après 15 miles. C’est la toute première fois que j’arrive à faire autant de distance en si peu de temps. C’est d’autant plus impressionnant que j’ai fait 1100m de D+ et que je n’ai mangé que 1000kcal sur la journée car je manque de nourriture.
Une fois ma tente installée, j’ai eu une petite demi heure de fine pluie avant que le ciel se dégage et m’offre un très beau coucher de soleil. Que ce trail est beau…
Jour 55 : mile 934,2
Échauffement sur une belle petite montée de 350m de D+. Rien de bien spécial si ce n’est que le soleil se fait timide derrière quelques nuages. Au sommet, je fais mes au-revoirs à Stallion qui a finalement décidé d’aller à Silverton car il traine une douleur au pied depuis quelques jours. Je continue ma route jusqu’à atteindre l’intersection à partir de laquelle le Colorado Trail rejoint le CDT pour quelques 220 miles. Je remarque immédiatement un changement. Le sentier est très bien balisé et excellemment bien entretenu. C’est aussi le début de vues encore plus incroyables.
Chaque col de montagne, et chaque sommet offrent une vue sur une nouvelle vallée ou chaînes de montagnes. Je ne sais même pas comment décrire les paysages que j’ai vu aujourd’hui. C’était juste sublime. Ça me conforte dans l’idée que faire le raccourcis vers Creed est une grosse erreur.
J’étais en bas d’une montée, en train de prendre une petite pause, quand j’ai vu en l’espace de 10 minutes de gros nuages se former. Une tempête approchait à très grands pas. J’ai enfilé mon haut de pluie et j’ai commencé la montée. En 10 secondes à peine, le vent est passé de inexistant à des rafales qui me faisait reculer tant c’était puissant. Il faisait très froid ! Puis des gouttes de pluie ont commencés à tomber. C’est ensuite la grêle qui s’y est mise. A cause du vent, elle m’arrivait en pleine face presque à l’horizontale. Je n’avais jamais vu ça ! Le vent était d’une violence… Puis le vent s’est calmé, les grêlons ont laissé place à des flocons de neige, avant de laisser place au soleil. Une demi heure après, rebelote ! Pendant quelques heures, le temps n’a pas arrêté de changer. Ça rendait le paysage encore plus spectaculaire.
J’arrivais pas loin d’une route de terre quand j’ai entendu un bruit de moteur. J’ai couru jusqu’à la route et je me suis allongé et mis dans une position qui inspire la pitié. La jeep est arrivé à la hauteur et le conducteur m’a demandé si j’avais besoin de quelque chose. J’ai demandé de la nourriture car je suis vraiment en manque de calories. Pour info, une journée de marche comme je la fait, c’est entre 4000 et 6000 kcal de consommés. Je mange 1000 kcal en snack tout au long de la journée et 800 a 1200 kcal au dîner. Ça me fait 1800 à 3800 kcal en déficit. Sachant que 500gr de graisse = 3800kcal, je perd 1kg tous les 2 à 3 jours actuellement. J’en ai dans le fond besoin pour être plus en forme, mais ça reste vivable que sur du très court terme.
Le conducteur m’a dit qu’il n’avait pas de nourriture mais il m’a proposé du thé glacé sucré, encore plein de glaçons. Avec 1L de sucre, j’ai réussi à faire les derniers montées de la journée sans aucun soucis.
J’ai eu du mal à trouver un emplacement à peu près plat et à l’abris du vent, mais au bout du 16 ème mile, j’ai fini par avoir un emplacement correct, vers 16h30. Le vent s’est peu à peu calmé. Wildman m’a rejoint et on s’est endormi à 3750m d’altitude, après un coucher de soleil des plus impressionnant.
Les tendons de mes fibulaires aux deux chevilles ont commencés à se faire sentir aujourd’hui. J’ai peur pour la suite.
Jour 56 : mile 952,6
Réveillé toutes les demi heures soit par le vent qui manque d’arracher ma tente, soit parce que je suis en train d’étouffer tant je manque d’oxygène. Après une nuit catastrophique, je me remet en route. Le vent est intenable, mais j’étais encore loin de mes surprises.
Après à peine 2 miles, la gène que j’avais aux fibulaires se transforme en douleur. Mon moral devient inexistant. Le vent me rend complètement taré. Il me pousse dans les retranchements les plus profonds. Avec le soleil, ils me brûlent le visage. Je n’arrive plus à respirer.
Pendant l’absolue totalité de la journée, je me fait fouetter la gueule par des rafales qui me font soit reculer, soit tomber. J’ai excessivement froid, et je suis moralement à bout.
Je suis contraint de faire une très gros journée : 18,5 miles (30 miles) si je souhaite à nouveau respirer car le sentier ne redescend pas de la journée. Au contraire, il me pousse à monter des paroies ultra raides jusqu’à 4040m d’altitude. Je ne peux même pas profiter des vues alentours car il y a une très épaisse brume, ou de la fumée d’un feu de forêt, je ne sais pas.
Je craque plusieurs fois sur la journée, poussé à l’absolue limite de mon mental. J’ai de plus en plus mal aux chevilles. Ça y est, je commence à songer à l’abandon. Non pas que j’en ai envie, bien au contraire ! Mais mon corps ne suit plus. Je ne peux pas me permettre de reprendre 2 semaines de repos, tout bonnement car je perdrai à nouveau tous mes muscles. Alors que faire ? Je verrai le lendemain si mes douleurs empirent. Il me reste 8,5 miles pour arriver en ville. Si ça n’empire pas, je changerai de chaussures pour des chaussures de randonnée très européennes, montante, bien que je déteste ça. Et je prendrai quelques jours de repos. Sinon, ce sera un triste abandon de ce projet de vie, et je vois difficilement comment me relever d’un tel échec après tous les sacrifices que j’ai fait pour me retrouver ici.
Je n’ai presque rien mangé de la journée. Non pas par manque de nourriture, mais parce que le vent, les nausées et les difficultés à respirer m’ont complètement couper l’appétit.
Je me couche à 19h sous un vent de dingue, avec un angle degueulasse, mais je n’ai pas d’autre choix. Je n’ai pas eu une seule seconde de répis au niveau du vent, depuis cette nuit.
Jour 57 : mile 961,2 – Lake City
Je viens d’endurer ma pire nuit depuis le début de l’aventure. A partir de 21h, le vent s’est mis a souffler très fort. Puis c’était la tempête. Ma tente était sur le point de rompre. Elle penchait a plus de 45 degrés, a tel point que je me prenait des gifles par les paroies. Puis une demi heure de pluie, toujours par fort vent. La tente de Wildman s’est effondrée sur lui à 3 reprises.
En plus du vent, je me prenais plein de poussière à l’intérieur même de ma tente. C’était intenable. Et le bruit me rendait complètement fou. Je suis donc resté assis dans ma tente, dépité, à tenir les paroies jusqu’a 3h, quand le vent à commencé a faiblir. A 5h30, rebelote. Alors j’ai rangé mes affaires et j’ai marché, les 8,5 miles qui me conduiraient à la route pour faire du stop.
Mes chevilles vont un peu mieux. Ce n’est tout de même pas ça, et du repos est, une fois de plus, nécessaire. Mais je n’abandonne pas aussi facilement.
J’ai attendu 1h30 avant que quelqu’un ne me prenne en stop et me dépose au restaurant. J’ai bu 3L de coca et mangé un gros burger de bison avec des frites, bu deux bières, puis j’ai enchaîné sur un gros milkshake. J’ai installé ma tente au camping, pris une douche, fait une lessive, et je me suis reposé.
Ces derniers jours étaient pour le moins très intense.
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