Développeur web, je peux télétravailler d’à peu près où je le souhaite. C’est d’ailleurs mon quotidien depuis maintenant plus d’un an. Cette pratique offre de nombreux avantages, dont l’incroyable confort de travailler d’autre part que chez soi. C’est à cette occasion que j’ai profité d’une location de mes parents dans les Alpes pour aller me ressourcer au bon air de la montagne. J’en ai profité pour poser une journée de congé afin d’avoir un week-end de trois jours et trois nuits pour gambader en haute altitude. Mais avant ça, un petit échauffement.

Cabane du petit pâtre par le plateau des Bénés (9km/+700/-700)

Nous sommes dimanche, le lendemain de notre arrivée, et nous nous mettons en route sur un petit sentier direction le plateau des Bénés. Temps de marche estimé d’une heure et demie pour un dénivelé positif d’environ 500m.

Sur un sentier accessible aux 4×4, nous marchons les premiers mètres avant d’arriver sur la partie la plus raide du tracé, d’abord à découvert, puis sous la canopée de grands pins. Rapidement, je trouve mon rythme de marche que j’arrive à tenir jusqu’au bout. Une heure dix plus tard, avec une demi-heure d’avance, me voici sur le plateau des Bénés entre quelques chalets pour la plupart inoccupés. Ayant pas mal d’avance, je décide de pousser un peu pour voir ce qui se trouve plus loin. Ainsi, après un total d’une heure et demie de marche, j’atteins la cabane du petit pâtre annoncée à deux heures dix de trajet. Il s’agit de deux petits refuges dont l’un est accessible aux randonneurs souhaitant passer une nuit à près de 2000m d’altitude.

Là-haut, nous avons une très belle vue sur la chaine des Aravis, la vallée de Sallanches et la chaine du Mont-Blanc.

La chaine des Aravis vue de la cabane du petit pâtre

Nous ferons la descente sur un autre chemin longeant entre-autre un élevage de moutons dont les chiens de garde n’appréciaient pas notre compagnie, et des départs de piste de ski du domaine de Cordon.

La randonnée était assez simple, mais suffisante pour faire ressortir de belles courbatures au jeune sédentaire que je suis depuis de nombreux mois.

De l’Index aux châlets de Balme par le col des Aiguilles Crochues (5,5km/+300/-780)

Ca y est, c’est le grand jour ! Je termine le travail un peu plus tôt, nous sommes jeudi, et je me lance en solitaire pour la première étape de ma randonnée. Assis confortablement dans mon lit, j’avais quelques semaines plus tôt utilisé l’application AllTrails pour trouver les sentiers et faire mon propre tracé pour coller au mieux à mes aptitudes physiques et au temps qu’il m’était disponible pour marcher. Vous la voyez venir la boulette ?

Je prends donc la télécabine puis le télésiège jusqu’à l’index à 2300m d’altitude. La dame de l’accueil, qui m’avait vendu mon billet, m’a bien précisé qu’il restait quelques névés de neige en haut. D’après un rapide coup d’œil aux jumelles, cela ne me semblait pas insurmontable. Je suis donc parti sans paire de crampons. En sortant du télésiège de l’Index, aux alentours de 17 heures l’homme qui aidait les personnes à s’installer sur les nacelles m’a souhaité « bonne chance » en me voyant partir. De la chance ? Pourquoi ? Bref, pas de temps à perdre, j’avais estimé à 2 heures et demi maximum de route pour faire les 5,5km qui me reliaient au plan d’eau au-dessus des chalets de Balme, de l’autre côté de la montagne. J’entame donc la marche par le fameux névé. Je suivais l’unique trace de pas que je distinguais parfois difficilement, car elle n’était pas très fraîche. Je glissais un peu, mais mes bâtons me permettaient de rapidement m’arrêter et de retrouver mon équilibre. Dix minutes à peine que je suis parti et je me perd une première fois. Les traces de pas que je suivais ont disparu me laissant seul au milieu d’une plaque de neige sans même savoir quel était le col que j’allais rejoindre. J’utilise mon GPS pour me remettre sur le droit chemin et continue mon ascension jusqu’à atteindre le haut d’un tire-fesse. Je profite de la vue bien dégagée pour prendre quelques photos et déguster un snickers. Un immense rapace plane royalement au-dessus de moi. Il semblerait que ce soit un gypaète barbu. C’était très impressionnant de voir un oiseau de cette envergure passer aussi proche.

Le premier névé que j’ai traversé

J’entends le télésiège en contre bas annoncer la dernière décente. C’est à ce moment que je me dis que ça y est, je suis vraiment parti seul. L’aventure commence ! Je reprends la marche, suivant presque aveuglement mon GPS sur les différents névés. Observant les multiples cols qui se trouvaient à ma gauche, je me demandais vraiment lequel d’entre eux j’étais censé atteindre tant ils semblaient inaccessibles à pied. Puis le GPS m’indique de prendre à gauche et de monter presque tout droit. Je m’exécute. D’abord sur un semblant de sentier assez raide et jonchée de petites pierres, puis sur de grosses pierres sans même un semblant de chemin, enfin sur un mur d’une incroyable raideur (~70°), sur des pierres qui glissent et manquent de me faire dévaler la pente à chaque pas. Je range mes bâtons de marche et avance lentement, assurant chacun de mes pas avant d’y mettre mon poids, et m’aidant des mains pour garder mon équilibre. Il m’aura fallu une bonne heure pour réussir à faire cette montée jusqu’à arriver face à ce mur, à quelques mètres à peine du col. J’étais vraiment censé passer par là ? Il n’y avait pas de chemin, pas de corde, pas de marches creusées à même la pierre ou plantées dedans. J’étais face à un mur de cinq ou six mètres, penché à 79°, dont toute une partie semblait plutôt lisse. Je jette un coup d’œil sur mon portable et… oui, je devais vraiment passer là.

Je ne suis pas bon en escalade. Encore moins d’ailleurs sur des parois naturelles. D’autant plus que j’avais un sac sur le dos et que je n’avais aucun moyen de m’assurer; ni le matériel pour, ni la possibilité d’accrocher des pitons, car la roche en elle-même était assez friable. Alors je me retrouve face à une première grosse difficulté : celle de prendre une décision.

Il est souvent plus simple de prendre une décision lorsque l’on est accompagné, car avoir un second avis sur une situation dans laquelle on a le nez plongé dedans aide souvent à prendre une décision réfléchie. Mais j’étais seul, et je devais me débrouiller. J’expose donc à voix haute mes deux options : faire demi-tour ou escalader.

Je regarde la paroi que je viens de galérer à monter et ma décision est vite prise : il m’est incapable de redescendre par là tant c’est raide et glissant. Cinq à six mètres d’escalade, ça doit être faisable ! Alors je m’approche de la paroi, je cale mon pied droit dans une petite fissure, je cherche des prises pour mes mains, et je m’élève de quelques centimètres. Lentement mais surement, j’arrive à gratter un peu de hauteur, jusqu’à ne plus trouver de prise pour mes pieds. Non confiant, j’adopte une position que tout adepte de l’escalade connait, en posant mes deux pieds à même la paroi tout en me tirant le plus fort possible de mes deux mains à hauteur de hanches. Et je fais un, deux, trois pas. Je change rapidement mes mains de prises et continue, jusqu’à trouver un petit renfoncement dans lequel je viens caler un de mes pieds. Je retrouve une position à peu près normale et prends quelques secondes pour reprendre mon souffle.

Je garde mes yeux rivés vers le haut pendant toute la montée pour être certain de ne pas me faire peur de la hauteur que je suis en train de prendre. Je passe de prise en prise jusqu’à me retrouver coincé contre la paroi avec mon sac qui bloquait; la pointe de l’un de mes bâtons s’est immiscée dans la roche et m’empêchait d’atteindre la prise suivante. Un coup de coude dans le sac et le voilà décalé sur le côté me permettant de grappiller quelques centimètres de plus afin de retrouver une position stable. Je pose ma main sur la prise suivante et en voulant m’assurer qu’elle tienne le coup, le bout de roche se casse laissant ma main dans le vide. Par chance, presque tout mon poids reposait sur mes jambes à ce moment, me permettant de garder mon équilibre. Quelques minutes plus tard, me voici enfin arrivé au col des Aiguilles Crochues. Essoufflé, encore tremblant de la prise de risque que je venais d’avoir, je m’assieds sur un rocher en plein soleil et je profite de la superbe vue que j’avais sur les deux vallées.

Vue du col des Aiguilles Rouges

Mais l’heure tournait vite, et il me restait encore pas mal de route avant de pouvoir poser ma tente. J’avais déjà pris du retard sur mes estimations tant j’avais sous évalué la difficulté de cette ascension. Alors, je regarde la vallée dans laquelle je dois descendre, afin de trouver le chemin. Il n’y en a pas.

Je tente de trouver au loin des cairns pour savoir au moins vers où me diriger; rien. J’utilise mon application pour tenter de trouver un relief particulier vers lequel mettre le cap, mais je ne trouve rien d’intéressant. Alors, je me mets à suivre le tracé sur mon téléphone sans me poser trop de questions. Je passe de névé en névé, tantôt en skiant sur mes deux pieds, tantôt en assurant chacun de mes pas. Je glisse, je tombe, je me relève, et je recommence. En m’approchant des rochers, je prends garde, car la neige est souvent fondue et il n’est pas rare de s’y enfoncer. Sauf que parfois, je m’en approche trop et me retrouve avec une jambe enfoncée jusqu’à la hanche. Toutes les 5 minutes, je jette un œil à mon application pour me remettre dans la bonne direction et je continue cette laborieuse descente.

Le col des Aiguilles Rouges en haut à droite, et tout le chemin que j’avais descendu jusqu’alors

Je finis par tomber nez à nez avec trois bouquetins peu farouches qui remontaient vers les hauteurs. Ce sont de très belles bêtes qui, de leur simple présence, m’ont remonté un peu le moral. Mais je ne pouvais m’éterniser en leur compagnie; le soleil était en train de tomber. J’ai donc continué de tracer des lignes à peu près droites dans un environnement peu clément. Mes chevilles devaient endurer des positions peu confortables, pliées à l’extrême, lorsque je marchais sur l’herbe bien en pente. C’était inconfortable au possible.

Je me fatiguais de plus en plus. Et avec la fatigue, augmente les risques d’accident. Je faisais de nombreuses chutes, je perdais facilement le cap que je me fixais en regardant mon téléphone. Et le temps passait.

J’ai fini par traverser mon dernier névé pour me retrouver à descendre le long d’un cours d’eau que je devais traverser de multiples fois pour retrouver des endroits à peu près praticables. J’avais les pieds trempés, ce qui en soit n’est pas si problématique, sauf lorsqu’ils frottent abusivement dans mes chaussures à cause des terrains chaotiques. Puis les pierres qui venaient taper dans mes malléoles rendaient la marche d’autant plus douloureuse.

J’ai quitté le cours d’eau quelques minutes après avoir croisé deux chamois un peu plus peureux que les bouquetins. Je traversais des parcelles d’arbres à baies qui en plus de rendre la marche très lente, la rendait très inconfortable.

Après quatre heures et demie de marche, j’ai atteint le petit plan d’eau au-dessus des chalets de Balme à côté duquel j’ai enfin pu installer ma tente, retirer me chaussures, préparer à manger et apprécier les derniers rayons de soleil de cette première journée. J’étais épuisé, mais en mangeant mes ramens, mon moral est progressivement remonté alors qu’il était tombé si bas? Je profitais enfin du parfait silence de la vallée et de la beauté de l’environnement dans lequel je me situais. J’étais impressionné en voyant tout ce que je venais de traverser, mais je me suis promis une chose : s’il n’y a pas de chemin comme aujourd’hui sur la randonnée de demain, j’abandonne !

J’ai fini par m’installer dans ma tente pour passer une bonne nuit réparatrice; c’était sans compter sur l’insomnie que j’ai faite jusqu’à 2eure et demi tant mes pieds brulaient dans mon sac de couchage un peu trop efficace pour cette température extérieur.

Ma tente, avec au fond toute la descente que j’ai faite en quittant le col des Aiguilles Rouges

Des châlets de Balme au mont Buet (9,4km/+1420/-220)

Malgré la petite nuit passée, je me lève à 7 heures et prends la route peu avant 8 heures. Le début, jusqu’aux chalets de Balme, est du même acabit que la veille, pour enfin retrouver un chemin bien formé et balisé. Aux chalets, j’ai surpris un bouquetin en train de lécher les murs, probablement pour en extraire le sel. Il est monté sur un rocher pour me permettre de prendre une belle photo, avant de passer son chemin.

Bouquetin qui pose sur son rocher à coté des chalets de Balme

J’ai marché jusqu’aux chalets d’Écuelle, du moins, ce qu’il en reste. Puis j’ai entamé la plus grosse et longue montée de mon trajet. C’était censé être la journée la plus dure de mon périple. Je m’y étais préparé psychologiquement, mais je m’étais aussi laissé pas mal de temps pour la réaliser. En effet, je comptais dormir au sommet du mon Buet à moins de 10km de mon point de départ. En prenant mon temps, je devais pouvoir y arriver en début d’après-midi au plus tôt. J’avais donc une marge d’erreur conséquente que je pouvais utiliser pour me reposer. J’ai croisé une femme qui avançait seule, comme moi, avec tout son matériel sur le dos. Elle faisait le tour des Aiguilles Rouges et était sur la fin de son aventure. Nous nous sommes dépassés à tour de rôle à chaque fois que l’un de nous reprenait notre respiration. Régulièrement, je m’arrêtais, je buvais un bon coup, et je mangeais un snickers pour avoir un peu de sucre rapide à bruler. L’inclinaison augmentait au plus on s’approchait du col de Salenton (2526m), la première étape avant d’arriver au mont Buet. Sur la fin, c’était tellement incliné que je m’essoufflais même en marchant lentement. Mon cœur battait la chamade et mes poumons étaient un peu douloureux, mais j’étais plutôt content de ne pas avoir de courbatures.

Après un peu plus de trois heures de marche, j’ai atteint le col de Salenton où je me suis allongé quelques minutes pour observer l’éterlou qui s’y reposait. Puis j’ai été rejoint par une autre femme qui arrivait d’un autre chemin. Elle connaissait bien ces montagnes et était curieuse de savoir par où j’étais passé. Elle a sorti sa carte IGN. Dessus, on pouvait voir que le chemin que j’avais pris n’était pas un chemin de randonnée à pied, mais un chemin accessible uniquement en ski de randonnée ! Ça explique pourquoi je n’ai jamais trouvé de chemin, et pourquoi certains passages semblaient inaccessibles à pied… À aucun moment, l’application ne m’avait fait part de ce détail pourtant bien important !

Vue du col de Salenton sur toutes la vallée que je venais de traverser

Je ne voyais pas par où le chemin passait pour aller jusqu’au mont Buet, alors je lui ai posé la question. Elle m’a montré un endroit particulièrement dangereux sur un immense névé bien trop abrupt pour être traversée sans matériel spécial. Mais je ne voyais aucun chemin. Alors j’ai tout de même tenté ma chance. J’ai suivi mon téléphone en me disant que j’aviserai sur le moment pour potentiellement faire demi-tour. J’ai traversé un névé particulièrement long, mais dans le fond peu dangereux. Les quelques personnes qui le descendaient m’ont assuré que c’était le passage le plus technique jusqu’au sommet. J’étais donc très rassuré ! Ça ne m’a pas empêché de faire de nombreuses glissades et chutes. Dont une pendant laquelle j’ai perdu l’une de mes deux bouteilles d’eau de 1L sans m’en rendre compte…

Le névé le plus technique pour atteindre le mont Buet

Le névé traversé, me voilà sur de longues pentes de 50° à monter au péril de mes poumons et de mon cœur en train d’agonisés. Je mettais un pas devant l’autre, avançant très lentement mais surement en direction du sommet. Au plus je m’en approchais, au plus le vent, froid, soufflait. Pendant la montée, j’ai uriné. C’est important de le préciser car c’était la toute première fois que ca m’arrivait depuis mon départ.

J’ai, non sans mal, atteint la station météorologique sous un vent si puissant qu’il m’en déstabilisait. Je voyais enfin le sommet. Enfin ! Encore quelque dizaine de mètres de dénivelé à faire. Entre deux se trouvait un petit abri, celui de Pictet, construit vraiment basiquement avec des pierres entassées les unes sur les autres, et de nombreux renfoncements faits de petits murs de pierre pour s’abriter du vent. Un névé plus tard et me voici au point culminant de mon tracé, à 3096m d’altitude, offrant une vue à 360° sur les montanes environnantes dont toutes les aiguilles de la chaine du Mont-Blanc. C’était vraiment superbe.

L’abri Pictet dans lequel je me suis installé pour dormir

Mais il y avait trop de vent pour dormir en tente, alors j’ai préféré revenir un peu sur mes pas et m’installer dans le petit abri. Il était 14 heures quand je me suis installé. J’ai trouvé un endroit un peu abrité du vent et m’y suis assis pour observer le paysage. J’ai grignoté mon avant-dernière barre de céréales, quelques snickers, un paquet de ramens. Puis j’ai médité, écouté de la musique et l’épisode 6 du podcast « C’est encore loin? » où Anthony Verlaine nous raconte comment il a traversé le parc Denali aux US et survécu à de nombreuses attaques d’ours. Au plus le soleil se rapprochait de l’horizon, au moins nous étions nombreux au sommet. J’étais d’ailleurs de moins en moins rassuré à l’idée de passer la nuit là. Était-ce à cause du froid ? Du vent ? De l’altitude ? De la solitude ? Peut-être bien des quatre.

Toujours est-il qu’une profonde peur s’installait. Ne devrais-je pas plutôt me remettre en route une ou deux heures et camper un peu plus bas ? Après tout, il me restait bien assez de temps pour le faire ! Mais je me retenais, tentant de me convaincre qu’il était préférable pour mon corps et pour mon aventure de suivre mon plan. Jusqu’au moment où j’étais presque tétanisé; j’étais seul. À près de 3100m d’altitude, sous un fort vent frais, je ne pouvais compter plus que sur moi-même. J’ai fini par reprendre mes esprits et enfin apprécier l’endroit dans lequel j’étais à sa juste valeur, bien qu’en solitaire. Je me sentais comme sur le toit de monde. Je pouvais hurler sans ennuyer la moindre personne.

Selfie peu qualitatif avec vue sur le Mont-Blanc

La température baissait rapidement. J’ai donc mis tous mes vêtements chauds et je me suis installé sur une pierre peu exposée au vent en attendant le couché de soleil sur la chaine des aiguilles du Mont-Blanc. C’était magique !

Coucher de soleil sur le Mont-Blanc à droite, et toute la chaine des aiguilles

Quand le soleil s’est couché, je n’ai pas tenu bien longtemps avant d’être frigorifié. Alors je suis allé me réfugier dans l’abri. J’ai enfilé mes vêtements de nuit et je me suis couché. Je ne sentais presque pas le vent. Et encore moins le froid ! Mon sac de couchage était encore bien trop chaud malgré la température extérieure. J’ai passé de nombreuses minutes à tenter de refroidir mes pieds bouillants en les collant aux parois de pierres froides. Impossible de m’endormir; j’ai trop chaud, et trop mal aux muscles, un peu partout. J’ai avalé un second cachet de codéine en espérant qu’il me shoot un peu et m’aide à dormir, mais rien à faire; je reste parfaitement éveillé. Je vois passer toutes les demi-heures, jusqu’à 2 heures où le vent se mit à tourner un peu, s’engouffrant plus facilement dans l’abri.

Je me prenais tant de vent dans la figure que je me suis relevé pour tenter de bloquer l’entrée avec les quelques grosses pierres que j’avais à disposition. Mission réussie, je me suis remis dans mon sac de couchage. Une demi-heure plus tard, toujours incapable de fermer l’œil, je mange un petit gâteau et je vais pour boire de l’eau. Il ne me restait qu’un fond et je me rends compte à cet instant que j’ai perdu ma seconde bouteille. Je ne m’inquiète pas trop et me rassure; le lendemain est l’une des journées les plus simples, ce n’est que de la descente. Je trouverai de l’eau facilement ! Après tout, j’ai déjà fait de nombreuses nuits en plein désert avec très peu d’eau lorsque j’étais sur le Pacific Crest Trail. Ça ne devrait pas poser trop de soucis. J’avais tort.

Fermeture très rustique de l’entrée de cet abri tout autant rustique

Je ne buvais déjà à priori pas assez depuis la veille, et pour preuve, je n’avais encore uriné qu’une seule fois.

Vers 3h30, le vent a redoublé de force et encore changé d’orientation, s’engouffrant à pleine puissance dans le petit trou qu’il restait à l’entrée. J’ai fait une seconde session de Tetris pour la fermer presque complètement. Mais les innombrables couvertures de survie qui avaient été utilisées pour boucher les trous entre les pierres faisaient un bruit d’enfer à chaque bourrasque. Le bruit m’empêchait de fermer l’œil et me laissait sans cesse dans la crainte de la pluie tant le bruit s’y apparente. C’était sans compter l’arrivée d’une petite pluie aux alentours de 5 heures passant sans soucis au travers du toit brumisant mon visage jusqu’à le geler. Puis au tonnerre de résonner dans la vallée quelques minutes plus tard me faisant sursauter à chaque fois.

Du mont Buet à Vallorcine (24,1km/+1490/-3255)

Il était 7 heures du matin quand, n’ayant pas dormi une seule seconde, ayant vu toutes les demi-heures de cette nuit, je me suis dit qu’il était temps que je me mette en route.

J’ai rangé mes affaires et suis allé au sommet, en plein vent, pour grignoter un sickers. Ce fameux snickers qui m’a parfaitement dégoûté des autres. Je l’ai difficilement avalé en me jurant de ne plus en acheter à l’avenir tant j’en faisais une overdose.

J’ai été rejoint par un père et son fils, tous deux assez âgés, qui avaient dormi au niveau du col de Salenton. Nous avons un peu discuté avant que je ne reprenne la route. J’ai longuement hésité à leur demander un peu d’eau, mais voyant leurs bouteilles presque vides, j’ai préféré m’en passer pour la leur laisser. J’ai marché le long des crêtes, ma bouche s’asséchant de plus en plus, jusqu’à arriver au sommet d’une falaise. Je ne vois aucun chemin, donc je regarde sur la carte. Oui, il fallait bien descendre cette fameuse falaise en s’aidant de chaines métalliques plantées dans la roche, avec le vide de caque coté. Je n’étais absolument pas rassuré tant c’était raide ! Vous voyez un chemin ?

J’ai descendu le long de la crête au milieu de la photo, en me tenant à de nombreuses chaines

Moi non plus.

Pendant cette descente, j’ai croisé un homme qui faisait du trail running. Je lui ai demandé où se trouvait la prochaine source d’eau. Il m’a répondu qu’en redescendant du sommet de Cheval Blanc, je devrais trouver la première source. Il avait fait cette partie-là en une bonne demi-heure. Bon, j’étais rassuré, j’allais bientôt pouvoir boire à ma soif ! J’ai continué de marcher jusqu’à me retrouver sur une partie très abrupte de la falaise de la pointe du Genévrier. Complètement perdu sur cette falaise, incapable de trouver le moindre semblant de chemin, je regarde sur ma carte : j’étais quelque 50m trop en hauteur et je devais me trouver sur le très long et raide névé juste en dessous de moi. Il m’était absolument impossible de redescendre en ligne droite jusqu’au chemin sans matériel adéquat; j’allais m’assurer une glissade incontrôlable sur le pan de neige. J’ai donc fait demi-tour.

La pointe du Genévrier au milieu, le sommet du Cheval Blanc au fond, et le névé un peu trop abrupte sur la droite

Ma soif atteignait des niveaux stratosphériques, à tel point que j’ai gratté un peu la neige pour retirer la terre qu’il y avait dessus avant d’en mettre à fondre dans ma bouche. J’ai retrouvé un semblant de chemin, des traces de bouquetins à peine visibles, que j’ai suivies en me tenant bien à l’écart des bords de la neige pour éviter de me retrouver sur une corniche.

Après une bonne heure de galère, me voici arrivé en bas du névé où je trouve un tout petit cours d’eau qui passe sous la neige. Je m’empresse de remplir ma bouteille et je bois, encore et encore, cette eau trouble de terre. Mais sans le savoir, il était déjà trop tard; j’étais parti en déshydratation et je ne pouvais pas m’en remettre si rapidement.

J’ai continué ma route vers le sommet du Cheval Blanc, montant des pentes de neige en plantant mes pointes de pieds pour éviter de glisser. Bien évidemment, j’ai fait quelques chutes, mais aucune n’était grave ou dangereuse. Par contre, j’étais parfaitement seul sur toute cette section. C’était assez désagréable de se sentir autant en insécurité et de savoir que personne ne le saurai s’il m’arrivait quoi que ce soit. Mais je ne me suis pas laissé décourager. Un total de deux-heures et demie de marche depuis le haut du mont Buet, et me voici sur le Cheval Blanc, alors que l’homme l’avait fait en une demi-heure. J’étais rincé. J’ai mangé ma dernière barre de céréales et j’ai tenté de manger un snicker pour me redonner des forces, mais je n’arrivais pas à le mâcher tant ma bouche collait de sécheresse. Alors je l’ai mangé avec une gorgée d’eau. Mais je ne pouvais plus rien avaler d’autre.

Les deux barrages d’Emosson, vu du sommet du Cheval Blanc

J’ai profiter un peu de la superbe vue sur les barrages d’Emosson puis j’ai repris la marche, fin décidé à retourner dans la vallée et mettre un terme à mon aventure une journée plus tôt. Comme pour la descente du mont Buet, Cheval Blanc commence par une falaise avec des chaines, sur une inclinaison de 58°, pour ensuite rejoindre un enchainement de longs et fastidieux névés.

Enchainement de névés jusqu’aux barrage du Vieux Emosson

Je suis passé devant les traces des dinosaures qui sont normalement visible sur de parois rocheuses mais tout était recouvert de neige. Puis je suis descendu jusqu’au barrage du Vieux Emosson, le premier des deux. Toute la route durant, j’étais harcelé par des moucherons qui se baladaient en roupe et se postaient juste devant ma figure. J’en devenais fou et donnait des coup de casquette dans le vent pour tenter de les faire partir, en vain.

Arrivé au barrage, je me suis installé au seul petit coin d’ombre que j’ai trouvé et j’ai fait chauffer mon dernier repas : un poulet curry et riz lyophilisé de Décathlon. Ca me faisait un bien fou de manger un vrai repas, après toute cette marche presqu’à jeun !

J’ai regardé ma carte et j’ai vu qu’une télécabine reliait Vallorcine et le second barrage d’Emosson. C’était ma porte de sortie ! J’étais prêt à couper quelques kilomètres de mon aventure pour profiter d’un Coca en terrasse un peu plus tôt que prévu. Alors j’ai rangé mes affaires et j’ai repris le chemin. J’avais le choix : prendre la route et ne pas pouvoir utiliser mes bâtons de marche, ou prendre le sentier, un peu plus long et avec un peu de dénivelé positif, mais pouvoir m’aider des bâtons pour réduire les contraintes sur mes genoux. J’ai choisi le sentier ! Mes pieds étaient déjà dans un piteux état, en train de faire des ampoules et de bruler à cause des frottements.

La plante de mes pieds était brulée par les frottements sur mes chaussures

Mais là, grosse déception : le repas que je venais de manger n’avait pas encore été digéré. Je n’avais aucune force. Par aucune force, j’insiste sur aucune. Je peinais à lever mes pieds, à utiliser mes bâtons et à tirer mon corps en me tenant aux quelques passages avec des chaines. J’étais une parfaite loque, incapable même d’atteindre 1km/h. Le soleil tapait fort en ce tout début d’après midi et ma réserve d’eau s’est vue vidée très rapidement, me laissant à nouveau sans liquide pendant quelque temps.

Puis quelques forces me sont revenues, après de longues, très longues minutes de marche. J’ai réussi à reprendre un rythme un peu plus correct bien que fondamentalement lent, jusqu’à atteindre la route. Je n’avais plus qu’à traverser le barrage bondé de touristes pour aller prendre ma place dans la télécabine. Je n’en avais par contre vu passer aucune et ça me préoccupait un peu. Devant, je me suis rendu compte que c’était une télécabine privée, utilisé probablement pour remonter des matériaux ou du personnel pour les barrages. J’ai demandé à l’homme qui vendait des tickets pour le train panoramique quelles étaient mes options pour retourner dans la vallée : prendre le train panoramique et faire du stop de la Suisse vers la France (pas une très bonne idée le stop en période de covid; je doutais de trouver quelqu’un pour me prendre), ou prendre le sentier que j’avais vu, de 1h55, montant au début sur des pentes à 30°.

Barrage du Vieux Emosson vu d’en bas

Je n’avais pas trop le choix, alors j’ai pris la route vers ce chemin. Manque de chance, toutes les calories ingurgitées un peu plus tôt avaient déjà été consommées. La montée était particulièrement atroce. C’était censé être ma journée la plus simple, mais elle s’avérait être encore plus difficile que les deux précédentes !

J’ai continué le sentier sur cette partie surexposée au soleil, vidant une fois de plus ma bouteille, mais n’ayant aucun moyen de la remplir. Il n’y avait personne sur ce chemin, et aucune source d’eau. J’étais complètement déshydraté. J’avais la tête qui tournait, et je commençais à voir trouble. J’étais parti dans une profonde obsession pour le Coca-Cola qui m’attendait dans le bar en bas. Je m’imaginais déjà boire ce délicieux et frais Coca, puis une bouteille entière de cidre, et manger glace sur glace pour enfin apporter à mon corps les calories dont il avait besoin. J’en rêvais ! Je n’arrivais même plus à saliver. Je voulais manger un KitKat, mais je n’arrivais pas à mâcher et encore moins à déglutir. J’étais incapable de donner des calories à mon corps. Alors j’ai continué de marcher, ne pensant plus qu’à ce bar.

Vue de la vallée de Vallorcine en revenant des barrages d’Emosson

Le sentier s’est ensuite enfoncé dans la forêt pour l’ultime descente. 6km sur une inclinaison de 30°. Je n’avais toujours pas trouvé d’eau. J’ai marché, tentant d’oublier les douleurs aux pieds et genoux, jusqu’à arriver à un panneau m’indiquant… Vallorcine, 1h10. J’avais croisé le panneau annonçant 1h55 il y avait 2h15 de cela. J’étais dépité, démotivé, excédé, à bout de forces. J’étais prêt à m’allonger là et à me laisser dépérir. Mon moral était plus bas que 0, mon corps était en feu, et il n’y avait personne sur ce sentier pour m’aider.

Quand tout à coup, un groupe de 4 jeunes sont passés en courant. J’ai interpelé le seul qui avait un sac pour lui demander s’il avait un peu d’eau pour moi. Il a sortir sa bouteille de 1L et m’a donné de quoi boire quelques gorgées. J’étais aux anges. Il s’est assuré que j’étais capable de continuer puis a repris sa route.

Aller Baptiste, encore un dernier effort, tu vas l’avoir ton Coca !

J’ai fini sur les rotules. J’étais incapable de plier mes jambes tant mes genoux étaient en feu. Lorsque par mégarde je le faisais, je manquais de tomber tant mes cuisses et mollets n’arrivaient plus à supporter mon poids. J’ai « marché », très lentement, faisant les derniers 500m en presque une heure. J’étais à bout.

Jamais, de toute ma vie, de mes 5 mois sur le PCT, de mes entrainements pour l’Ironman ou de l’épreuve le jour J, je n’ai ressenti de telle fatigue. J’étais dans un état second.

J’ai tenté de traverser le petit lieu-dit du Siseray, pour rejoindre la route principale et la remonter à la recherche du bar, mais je n’arrivais plus à avancer, du tout. Derrière moi, un homme m’a interpelé pour me demander, en anglais, si j’allais bien. Je lui ai fait comprendre que je n’étais pas en forme du tout. Il est venu me voir, à pris mon sac et m’a proposé d’aller jusque chez lui, une vingtaine de mètres plus haut. Je me suis assis à la table à la limite de la syncope. Il m’a ramené une solution de réhydratation pour sportif. Je l’ai bu presque d’une traite, avant d’enchainer sur un autre grand verre d’eau. Il était 18 heures et cela en faisait sept que je forçais sur mon corps en réel déficit calorifique.

Sa femme nous a rejoint sur la terrasse. C’étaient deux Texans, originaires du Canada, qui étaient venu pour la 15e année consécutive dans cette location pour y passer deux mois de vacances et faire de l’escalade. La femme était anesthésiste. C’était rassurant d’avoir quelqu’un du domaine médicale à mes côtés à ce moment là.

Nous avons beaucoup discuté, entrecoupant nos conversations de grandes lampées d’eau, puis avons été rejoints par les propriétaires, des Français tout aussi accueillants que les Américains. Ils étaient vraiment bienveillants avec moi. C’était génial ! Puis mes parents sont arrivés pour me ramener à la maison. Sur la route, nous avons pris un Coca et quelques glaces. J’étais incapable de manger quoi que ce soit de solide. Et je n’avais uriné qu’une unique fois en trois jours.

Tracé GPS initialement prévu

Conclusion

Vous me connaissez, j’aime les challenges et les défis sportifs. Je sais être débrouillard et j’apprécie la nature. Mais je pense avoir trouvé la limite entre ce que j’apprécie, et ce qui met inutilement ma vie en danger.

Il est très important, de savoir se remettre en question, surtout après une expérience aussi intense que celle-ci. J’ai fait des erreurs, beaucoup trop d’erreurs, et je me dois de ne plus les réitérer.

  • Tout d’abord, utiliser la technologie pour créer mon tracé GPS. Ce n’est en soi absolument pas un souci, mais j’ai bien vu les limites de cette technique. Il est important, pour ne pas dire primordial, de préparer son trajet sur des cartes IGN avant de le retranscrire sur des applications type AllTrails. Ainsi, on est sûr de se diriger vers des randonnées balisées, accessibles, et avec des jauges de difficultés bien définies. En effet, sur les rares chemins balisés que j’ai pris, j’étais à chaque fois sur des sentiers qualifiés de « Très difficiles » par les cartes IGN. Ce n’était clairement pas malin de ma part de me lancer là-dessus vu ma forme physique du moment. Ma seconde erreur était de ne pas payer grande attention aux degrés des pentes que j’allais devoir gravir et redescendre. Elles étaient sous mes yeux et j’aurais pu me rendre compte aisément que des passages à 70/79° n’étaient pas une bonne idée.
  • J’ai ensuite fait l’erreur de vouloir suivre trop à la lettre la philosophie ultralégère que j’ai apprise aux US. Il est en effet très important de réduire un maximum le poids de son sac, parfois au détriment du confort, mais pas au détriment de la sécurité. Prendre des crampons m’aurait certes ajouté quelque 700gr, mais m’aurait permis de traverser certains névés en prenant moins de risques.
  • Avoir une troisième bouteille d’eau, même vide, pour me permettre une réserve de liquide plus importante me semble désormais primordial. De même que prendre le temps de m’arrêter pour faire fondre de la neige pour remplir ma bouteille avant même de ressentir la soif est un réflexe que j’aurai dû avoir.
  • Avoir de la crème solaire en haute altitude, surtout lorsque l’on est confronté à de la neige n’aurait pas dû être pris à la légère.
  • Ensuite, alors que je marchais, j’aurais pu rallonger un peu ma descente vers Vallorcine en prenant un autre chemin sur lequel se trouvait supposément de l’eau. J’aurais dû le faire et ne pas me laisser happer par cette envie irrépressible de Coca.
  • Enfin, les habitudes que j’avais aux US, de ne manger presque que des barres chocolatées en pleine journée sont à oublier. Je devrais me tourner vers des fruits secs ou des barres de céréales.

C’était une expérience particulièrement intense, du début à la fin, mais très enrichissante et vraiment magnifique en termes de paysages. Je suis dans le fond plutôt content de ce que j’ai réussi à faire, notamment trouver un peu de solitude dans des montagnes que je ne connaissais pas du tout.

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2 Commentaires

  1. Woouw ! Super intéressant comme retour, et bien raconté 🙂
    Repose toi bien après tout ça haha !

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