Du mile 2480 au mile 2497
Ou un crabe, ou une langouste. Pourquoi ? Pour ressentir un peu, juste un tout petit peu de plaisir et bonheur d’être complètement trempé.
Je commence ma journée sous une épaisse pluie. J’ai beau retarder un peu mon départ et ne me mettre en route qu’à 9h30, il pleut toujours autant et c’est toujours aussi misérable de faire mon sac sous la pluie. Tout mon matériel (sauf mon matos de nuit) est trempé ce qui augmente considérablement le poids du sac. Mon matos de nuit est humide à cause de la condensation. Mon sac de couchage étant en duvet, il est complètement inutile lorsqu’il est mouillé. Dans des conditions misérables, je commence à marcher. Ne pas faire de pause ; c’est la règle d’or lorsqu’il pleut. Lorsqu’on arrête de marcher, on se refroidit très rapidement, mais on reste tout autant mouillé. Au bout de quelques heures de marche sous cette averse, sans moral, avec absolument aucun fun ou plaisir, je commence à sentir l’odeur d’un feu de bois. Au bout du voyage se trouvait une très grande tente, comme un stand de nourriture. Une cheminée en sortait. De la trail magic ?!
Je m’approche lentement et, hésitant, je demande s’il y a quelqu’un. Un homme ouvre la fermeture éclair et me voyant misérable me propose d’entrer. Il s’agissait de deux chasseurs qui avaient payés des mules pour déposer tout ce matériel afin de passer une semaine entière à cet endroit pour chasser. Ils m’ont offert un sandwich, m’ont donné une place au coin du feu, m’ont accueilli avec beaucoup de gentillesse. Ils m’ont aussi donné un saucisson de chevreuil qu’ils ont chassé l’année dernière. Sécher un peu et me réchauffer tout en ayant un peu de compagnie, ça m’a fait beaucoup de bien. Ils ont a priori accueilli plus de 50 hikers sur les trois derniers jours tant la météo est capricieuse.
Je me remets en route, sous la pluie encore une fois. Cette pluie se transforme rapidement en grêle. La température chute d’un coup et une tempête de neige commence.
Je marchais en direction du sommet de la montagne sur laquelle je me trouvais. En effet, le trail montait encore au moins 600m. Les flocons étaient de plus en plus gros, le vent était violent, la visibilité était presque nulle et le froid était vraiment frigorifique. Mon corps complètement trempé de sueur ou de pluie était en train de geler malgré mon effort physique.
Pour la seconde fois depuis le début du trail, j’ai senti ma vie en danger.
La première fois c’était dans le désert de Mojave, vous vous en souvenez probablement.
J’étais seul dans cette tempête de neige et je ne sentais plus mes extrémités à cause de la pluie et du froid. Je voulais passer de l’autre coté de la montagne afin de redescendre de 850m et éviter de passer une nuit dans le froid quand tout à coup… Une odeur d’espoir.
L’odeur d’un feu de camp ! Je tourne sur moi même pendant une bonne minute avant d’apercevoir une petite lueur orange. Le feu de camp n’était pas à plus de 30m de moi mais c’était très compliqué de voir jusqu’à cette distance. Je me suis dirigé vers cette lumière. Deux chasseurs et un hiker, Vibes, étaient en train de sécher et de se réchauffer autour d’un grand feu de camp. Je me suis joint à eux.
Quel bonheur de voir quelqu’un et de ressentir un peu de chaleur ! Ce n’est même pas du bonheur en fait. C’est juste un moment qui permet de sentir que ma vie n’était plus autant en danger.
J’ai enfilé mes flipflops et j’ai séché mes chaussettes et chaussures auprès du feu.
La visibilité s’est progressivement améliorée.
Chaque hiker qui passait avait la même réaction : s’arrêter, chercher la provenance de cette odeur de feu et se diriger vers ce feu. On s’est retrouvés à 11 autour du feu. On avait tous la même réaction : on sentais notre vie en danger et il était grand temps de passer en mode survie. Pour me réchauffer, j’étais contraint de manger, manger et encore manger. J’avais besoin de calories !
Après quelques minutes, je me rends compte qu’une de mes chaussures est en train de fondre, littéralement. Ma chaussure droite a fondu au niveau de la partie intérieur du pied. J’ai donc un énorme trou dans ma chaussure droite ce qui n’est pas un gros soucis pour marcher, mais je n’ai plus de semelle extérieur au niveau de l’arche et c’est un énorme soucis. En effet, depuis le premier jour, j’ai une inflammation aux arches. J’arrive à limiter les dégâts grâce à des étirements, massages et ibuprofènes quotidiens. De plus, j’ai des semelles internes qui augmentent le support de mon arche. Mais sans semelle externe, je n’ai plus aucun soutient… 190 miles à faire… J’ai utilisé ces nouvelles chaussures quelques jours à peine. La fin du trail s’annonce compliquée.
Je n’ai absolument aucun moral, je suis mouillé, fatigué, congelé. Je vais dans ma tente, complètement trempée. Je fais bouillir 1l d’eau que je verse dans une bouteille et j’utilise la bouteille pour me réchauffer un peu dans mon sac de couchage qui à pris l’eau.
Aujourd’hui, c’était ma pire journée sur le trail. Pire que dans le désert. Je suis maintenant prêt à terminer le trail. J’ai envie d’en finir. Je n’en peux plus. Quand il n’y a absolument plus aucun fun, plus aucun plaisir, il ne reste vraiment que de la souffrance et de l’inconfort. Rien de plus. Aujourd’hui était atroce en tout point.
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