La pluie va me challenger à nouveau mentalement, mais ce n’était rien par rapport au défi physique dans lequel je vais m’engoufrer à la fin de cette section. Mais tous ces efforts vont enfin commencer à payer ! Je m’approche de plus en plus de la fin de l’aventure et même si une certaine excitation se fait ressentir, j’ai encore beaucoup à voir et je ne suis pas au bout de mes surprises !
Jour 131 Pluie 31 : mile 1726,5
Je prend un petit déjeuner au Yellow Deli. Ils m’avaient servi du lait mais je ne peux malheureusement pas en prendre à cause du traitement contre Lyme. Du coup, ils m’ont préparé des toasts et une omelette. J’ai ensuite repris un bus avec le petit groupe sauf Squirrel qui ne se sentait pas bien du tout et est parti aux urgences.
Le sentier avait eu le temps de sécher un peu hier, il n’y avait du coup pas trop de boue, du moins, le matin. La pluie est arrivée en début d’après midi pendant une bonne heure avant de laisser place à un beau soleil.
J’ai eu beaucoup de dénivelé aujourd’hui, assez raide. Il va falloir que je m’y fasse car je m’approche de plus en plus de la section la plus difficile de toute l’aventure dans l’état du New-Hampshire ! Par contre, il a fait très chaud et lourd. J’ai dégouliné de sueur sur tout le corps. Des gouttes tombaient de mon visage toutes les 20 secondes, quand elles ne finissaient pas dans mes yeux ou dans ma bouche.
J’ai fini par atteindre l’abri. Il était particulièrement grand, permettant d’héberger jusqu’à 20 personnes. Mais ce qui me rendait special, c’est sa tour de guet sur le toit qui, accessible de l’extérieur, permet d’aller au dessus et d’avoir une vue à 360 degrés sur les environs. Sur ces derniers sections où je n’ai pas vu grand chose de mon environnement, quel plaisir de profiter d’un coucher de soleil pareil ! Je pouvais même distinguer dans la brume les contours du Mont Moosilauke, le début de la forêt nationale des Whites dans le New-Hampshire.
Jour 132 Pluie 32 : mile 1741,4
Je suis réveillé à 5h par un ronfleur peu discret. Impossible de me rendormir. Du coup, je me prépare à marcher. Je fais la première heure en restant sec puis vient la première averse. Il y avait une alerte inondation aujourd’hui, avec 8cm de pluie de prévue, tandis que le New-Hampsire, où j’arrive demain, est en alerte tornade. Ce sont des conditions météorologiques qui n’ont pas été vues depuis 2011.
La journée n’était pas trop longue. J’avais tout de même pas mal de dénivelé positif, assez raide car on s’approche des Whites, les montagnes les plus raides du sentier. Les grosses averses que j’ai eu le matin n’étaient pas très plaisante et, bien que je sois sous un parapluie, j’étais trempé de la tête au pieds car les herbes hautes étaient plus grandes que moi et barraient le sentier.
J’ai ensuite atteint un pont qui a partiellement été détruit lors des inondations de la semaine dernière. Il était fermé mais c’était ma seule option. L’eau avait détruit une grosse partie de la route qui menait jusqu’à lui. Je bifurque ensuite vers une ferme qui ce d des glaces et des sandwichs. J’avais aussi mes nouvelles chaussures qui m’attendaient là bas. Enfin, je pensais… Je n’ai pas fait attention, et je les avaient fait livrer à une ferme que j’ai passé il y a deux jours… Je n’aurai donc pas mes chaussures avant quelques jours, le temps qu’elles soient livrés dans une ville un peu plus tard.
Je me remet en route sous une fine pluie. Le soleil se montre quelques minutes avant que la pluie ne revienne en force. Le sentier s’est de nouveau retrouvé inondé. J’étais de toute façon trempé donc j’ai juste traversé les flaques. J’ai fini par atteindre un ruisseau que je devais traverser, sans pont. Une corde reliait les deux rives. J’ai détaché mon sac pour pouvoir le retirer si je tombe à l’eau, et j’ai commencé la traversée. L’eau a fini par m’arriver aux hanches. Ça coulait très vite et l’eau était si marron de terre que je ne voyais pas le fond mais entre mon bâton de marche et la corde, j’ai traversé ca sans trop de soucis.
Le reste de la journée, j’étais assez lent. La pluie s’est arrêtée et les moustiques sont devenu un enfer. J’en avais une bonne dizaine sur moi à chaque fois, si bien qu’en arrivant à l’abri, j’ai monté ma tente pour me protéger. Une très grosse averse a commencé peu de temps après et a duré deux bonnes heures en continu.
Jour 133 : mile 1761,7
Je me lève de plutôt bonne humeur. Il fait beau, et le sentier ne semble pas trop inondé. Du moins, au début. Au final, pas mal de boue, mais ce sont plutôt les moustiques qui m’embêtent. À tel point que je décide de bifurquer sur une route qui longe de loin le sentier. Je suis passé à côté de très belles maisons, mais j’ai surtout apprécié voir un ours traverser la route à une centaine de mètres de moi. Quand il m’a vu, il a tout de suite couru, ne me laissant pas le temps de me photographier.
Plus loin, je suis retourné sur le sentier. J’ai eu une petite vue des montagnes qui sortaient des nuages dans la vallée, puis le sentier est sorti de la forêt pour rejoindre une route pavée. Je devais la suivre un peu jusqu’à atteindre la ville de Hanover. Comme la route était en plein soleil, et que je suis censé m’en cacher, j’ai mis de la crème un peu partout et j’ai marché sous mon parapluie.
J’ai traversé le pont me faisant rentrer dans Hanover, mais surtout dans le New-Hampshire, le pénultième état de l’aventure ! État particulièrement dur à cause de ses dénivelés, c’est aussi considéré comme l’un des plus beau avec notamment la forêt nationale des Whites et ses énormes montagnes rocheuses. Il est souvent dit que les randonneurs divisent par deux leur distance sur cette section tant elle est technique et épuisante.
J’ai profité de mon passage en ville pour faire une lessive et une douche, manger un peu, ravitailler, puis j’ai repris la route pour un petit 5 miles de plus. Le sentier était de plus en plus raide, de plus en plus boueux, et, à mi chemin, c’est devenu un enfer ! Ce n’était plus que de la boue inévitable, et des hordes de moustiques. Même en trottinant, j’avais au moins 10 moustiques sur moi à tout moment. En l’espace de deux minutes, j’en ai eu deux dans la gorge et un dans l’oeil, tout en me faisant dévorer chaque bras et jambe. J’ai couru jusqu’à mon campement car je n’en pouvais plus ! Moi qui venait d’avoir une douche… J’ai monté ma tente en quelques secondes et je me suis réfugié dedans, seul moyen d’échapper à ces monstres.
Jour 34 Pluie 33 : mile 1779,3
Après à peine 1h de marche, harcelé par les moustiques à m’en faire hurler et frapper des arbres, j’ai ressenti une extrême fatigue. Je n’ai pas réussi à comprendre d’où ça venait, peut être Lyme, peut être une petite déshydratation, ou un manque de calories, toujours est il que ça a duré toute la journée.
J’avais beaucoup de dénivelé aujourd’hui, presque 2000m, en 3 montées. J’ai été particulièrement lent. Du coup, les moustiques en profitaient pour festoyer. J’étais si à bout que j’ai enfilé mon pantalon, malgré la chaleur.
La dernière montée était traitre. Un escalier de 1km à 25 degrés d’inclinaison, le tout à bout de force. J’ai mis plus d’une demi heure pour faire cette distance que je fais d’habitude en 10 minutes. Mais au sommet, j’avais accès à une tour de guet. J’étais très content, j’aurais pouvoir profiter d’une vue ! J’ai donc forcé sur chacun de mes pas pour atteindre le sommet et voir… De là fumée. Autant d’efforts pour au final me retrouver au sommet d’une montagne où je ne vois absolument rien à cause des feux au Canada. Une profonde déception.
Comme de la pluie était prévue pour la nuit, et que deux personnes et un chien agressif squattaient l’abri, j’ai décidé de dormir dans la tour de guet. J’étais alors le point culminant des environs, ce qui n’était pas le plus rassurant lorsque l’orage s’est abbatu sur la montagne. Accompagné de sa pluie qui s’infiltrait par les fenêtres. J’ai du utiliser ma tente pour retenir les gouttes.
Pour terminer cette très dure journée en beauté, j’ai remarqué en retirant mes chaussures que j’ai une réaction allergique au sumac sur mes deux chevilles. Je comprend donc enfin d’où viennent les intenses douleurs que j’ai eu pendant la journée. Je n’ai aucune idée de comment j’ai réussi à avoir ça à cet endroit aussi précis. J’ai l’impression que mon corps tombe en lambeaux ces derniers temps. Comme si le sort s’acharnait sur moi…
Jour 35 Pluie 34 : mile 1800,4
Je me lève après une très bonne nuit, bien au frais. J’ai enfin pu dormir complètement dans mon sac de couchage grâce au vent. Ça faisait du bien de ne pas suer. Par contre, je n’ai pas de vue ce matin car je suis complètement dans les nuages. C’est bien dommage. Je me met en route un peu avant 6h, après avoir mis du scotch sur les boutons du sumac. Ça limite un peu les frottements ce qui rend la marche possible. C’est le début d’une longue descente dans une forêt dense de pins. Le sol est complètement inondé, je ne cherche même pas à éviter de marcher dedans, il n’y a pas d’intérêt.
Puis le sentier remonte de façon très abrupte sur des escaliers de pierre, pour se transformer ensuite en de petites sections d’escalade. Je marche lentement, essayant de ne pas être à bout de souffle. Lentement mais sûrement, j’atteins le sommet. Nouvelle déception : je suis encore dans les nuages. Je n’ai donc aucune vue aujourd’hui… Et surtout, je ne vois pas le fameux mont Moosilauke que je monterai demain, l’une des montagnes les plus imposantes de l’aventure. Tant pis.
Alors que j’eus un peu de pluie ce matin, le ciel s’est découvert quand je descendais de la seconde montagne. Mais malheureusement, je n’aurai pas d’autre point de vue de la journée. Par contre, avec mon traitement antibiotique contre Lyme, je me sens brûler au soleil. Je met donc de la crème solaire un peu partout sur mon corps. J’arrive sur la route qui mène jusqu’à une auberge de jeunesse vers laquelle je vais pour récupérer ma nouvelle paire de chaussures. C’est aussi là que je retrouve The Austrian que j’avais rencontré l’année dernière sur le CDT et que j’étais allé voir en Autriche ! Il est venu faire une section de 4 semaines et va essayer de me suivre. C’était vraiment sympa de le retrouver ! On a mangé une pizza puis on s’est remis en route.
J’ai marché jusqu’à l’abri d’après. Ce n’était pas trop loin, à peine deux kilomètres. J’en ai profité pour me tremper un peu dans l’eau froide de la rivière d’à côté. J’ai aussi nettoyé les chaussettes et le pantalon qui ont été en contact avec le sumac afin que je puisse les utiliser demain pour me couvrir. J’ai à priori oublié deux petits endroits sur mes mains quand j’ai mis de la crème et ces derniers ont brûlé alors que je ne me suis pas directement exposé au soleil…
Jour 136 : mile 1808,8 – Lincoln
Je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit. La raison, c’est qu’au moment où on s’est tous couchés, deux randonneurs du dimanche sont arrivés en voiture a 150m de l’abri, ont mis 30 minutes à démarrer un feu sans demander l’accord des personnes qui étaient dans l’abri, ont parlé à voix haute, fait du bruit avec leur casseroles, utilisé leur lumières blanche sans retenu et sans faire attention à ne pas les pointer vers nous. J’ai fini par leur faire une remarque, ce à quoi ils ont juste rigolé. J’ai donc déplacé toutes mes affaires derrière l’abri pour dormir dans ma tente. Ils n’ont pas arrêté de pointer leurs lumières vers cette dernière et venaient juste à côté de moi pour casser des branches. Quand ils ont enfin daigné aller se coucher, sur les coups de 23h30 (alors que je me couche avant 20h d’habitude), ils ont laissé le feu allumé. Je me suis donc déplacé jusqu’à leur campement pour leur faire des remontrances. Ils étaient muets, et n’ont pas daigné bouger pour éteindre leur feu. Je m’en suis du coup occupé. J’étais si furieux que je n’arrivais pas à m’endormir. Un manque de respect complet…
À 4h45, j’étais déjà debout. J’ai mangé un peu puis rangé mes affaires et je me suis mis en route. Timber, qui ne se sentait pas bien depuis la veille, a vomi une grosse partie de la nuit et se sentait très faible ce matin. Il a décidé de faire marche arrière pour aller aux urgences. Il suspectait la maladie de Lyme et malheureusement, les résultats étaient positifs… 7ème personne que je connais à en être atteint en moins d’un mois.
De mon côté, j’entame la longue montée vers le Mont Moosilauke. 7,3km pour un dénivelé positif de 1100m, d’un coup. Il s’agit de la toute première montagne des Whites, et c’est l’une des plus challengeante. Le dénivelé commence assez lentement mais se transforme rapidement en escalier de pierres qui devient de plus en plus raide. J’adopte un rythme lent mais constant, me perdant dans mes esprits jusqu’à ne plus voir le temps passer. De temps en temps, je dois m’aider de mes mains pour monter des marches trop hautes, parfois, je dois sautiller pour éviter la boue, mais la plupart du temps, je monte en ligne droite en marchant dans le ruisseau qu’est le sentier.
Il fait un temps magnifique. Comme je monte la montagne par la face ouest, je suis à l’ombre ce qui me convient parfaitement vu comme je brûle au soleil avec le traitement. J’ai d’ailleurs des coups de soleil au cou. Je ne m’essoufle pas, et je ne sens pas trop mes jambes car j’ai trouvé le rythme parfait. Néanmoins, quand j’arrive au sommet, je me rend compte que ce n’était que le premier sommet et qu’il me fallait encore faire 1,5km jusqu’au vrai sommet. J’avais déjà fait 1000m de dénivelé en 5,8km.
Le chemin suit un peu la crête, entouré de petits sapins, puis passe au dessus de la limite des arbres. Une centaine de mètres plus loin et me voilà au sommet de ce mastodonte. Surplombant une grosse partie de la vue à 360 degrés que j’ai, c’est aussi un endroit incroyable pour apercevoir la verticalité des montagnes à venir dans les Whites. Absolument magnifique. Parfaitement calme, frais, et avec une petite brise, j’apprécie grandement ce moment qui me rappelle enfin pourquoi j’apprécie la randonnée. Alors que les trois dernières semaines ont été particulièrement dures, que j’ai atteins de nouvelles limites et moments de doutes, me retrouver là aujourd’hui me remet dans le droit chemin.
J’ai passé une bonne heure à profiter de la vue. Puis j’ai repris la route pour une longue et douloureuse descente. Extrêmement raide, particulièrement glissante, sur des rochers et des racines. Parfois, des planches étaient cloutées à la pierre afin de faire des marches tant c’était raide. J’ai du prendre de nombreuses pauses car mes genoux avaient du mal. Par contre, redescendre sur près de deux kilomètres le long d’une cascade, c’était assez incroyable.
J’étais si lent à redescendre que j’ai raté la navette qui va jusqu’à l’auberge de jeunesse. J’ai donc j’ai du stop. J’ai été pris par un couple de retraité qui rentraient d’une petite rando. Quand ils ont entendu que je voulais manger au McDonald’s, ils m’ont dit qu’ils préféraient m’inviter dans un bon restaurant. Ils m’ont alors offert un burger et une énorme glace. Un bonheur ! Puis ils m’ont déposé à l’auberge de jeunesse. C’était si gentil de leur part…
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