Alors que j’avais déjà atteint un état de fatigue et de lassitude, mon aventure va prendre un tout autre tournant. La météo et ma santé dégénèrent tandis que l’état du sentier se détériore considérablement. De nombreux nouveaux challenges auxquels je dois faire face pour terminer sur une bonne surprise qui promet beaucoup de plaisir dans un futur très proche.
Jour 124, 125, 126 : mile 1619 – Bennington
Je n’avais prévu de passer qu’une seule journée de repos dans la ville de Bennington, mais j’étais loin d’imaginer tout ce qui avait se produire. La pluie est presque quotidienne depuis maintenant un peu plus de deux semaines, même si j’arrive à éviter une bonne partie en arrivant à l’abri avant qu’elle commence ou je suis en ville quand ça tombe. Mais les systèmes d’évacuation d’eau ont de plus en plus de mal à suivre le rythme, et les rivières se remplissent. Quand on a entendu l’alerte innondation le matin du second jour, eu qu’on à vu qu’ils prévoyaient 11cm d’eau sur les prochaines 24h puis 17 sur les 24h qui suivaient, il était impensable de nous mettre en route. Ce n’était même plus une question d’inconfort, c’était une question de risque.
On est donc resté 3 jours complets en repos dans la ville. C’était long et, bien que plaisant pour le corps, un peu dur pour l’esprit. Mais quand on voyait les trombes d’eau tomber du ciel avec violence, on était bien content d’être à l’intérieur ! On a reçu des photos et vidéos du sentier derrière et devant nous et ça faisait très peur. De nombreux ruisseaux étaient parfaitement infranchissables. Des routes étaient détruites, des arbres déracinés. Même l’association qui gère le sentier a envoyé un mail prévenant de la gravité de la situation. On a vu des photos de l’une des ville un peu au nord de nous où l’eau atteignait le premier étage des maisons.
Les pluies constantes et très intenses qu’on a actuellement sont anormales. Tout le monde en souffre, cela rend le sentier compliqué, en très mauvais état, et particulièrement inconfortable. De voir que tout le monde est dans le même bateau est rassurant. De voir que même les villes en souffrent, ça donne une toute autre profondeur à la gravité de la situation actuelle.
Certains randonneurs ont réussi à faire quelques sections pendant des accalmies ou ont marché sous la pluie, prennant parfois de réels dangers. Beaucoup ont fait demi tour. La plus grosse partie des randonneurs ont rejoins une ville pour attendre que cela passe. L’intégralité des chambres de l’hôtel étaient remplies par des randonneurs.
Jour 127 : mile 1659,1 – Manchester
Vu toutes les photos que nous avons vu du sentier, il nous semblait impensable de reprendre la route sur ce dernier . Néanmoins , après autant de jours de repos, il fallait bien évidemment se remettre en route. J’ai donc pris la décision de marcher sur la route entre les villes de Bennington et de Manchester. Ce n’est certes pas très intéressant , mais au moins ça me permet de faire de la distance tout en ayant quelques points de vue différents de celui des montagnes. L’avantage , c’est que les parents de friction sont en ville, il nous propose de faire du slackpack jusque dans leur Airbnb de Manchester. Une aubaine !
La marche en elle-même n’est pas très intéressante en début de journée, mais au moins il fait beau , et de temps en temps. Nous ne sommes plus en forêt nous permettant de voir les montagnes alentours Il est par contre dommage de rater les montagnes que traverse cette section, car l’une d’entre elles possède l’une des meilleures vues de tout l’État. Il fait très chaud, nous sommes parfois en plein soleil, donc l’arrivée dans le petit magasin à mi-chemin était très plaisante.
Je me suis installé à l’extérieur sur une chaise à bascule pour boire des boissons fraîches et manger une salade de pommes de terre. J’ai par contre commencé à ressentir une grosse fatigue. J’ai tout d’abord mis ça sur une petite déshydratation, ou sur un coup de chaud. Néanmoins, je n’ai pas eu de problème pour uriner. J’ai donc ensuite conclu que c’était probablement à cause d’une mauvaise alimentation. En effet, sur toute cette première partie, je n’ai pas mangé grand-chose.
Il était dur de se remettre en route, et la fatigue n’a fait qu’empirer. J’ai fini par prendre une pilule de caféine qui après un bon quart d’heure m’a redonné l’énergie qu’il me manquait pour terminer la journée. En arrivant au Airbnb par contre, je n’étais vraiment pas en forme. J’ai commencé à avoir des nausées, des vertiges. Puis de la température , un mal de tête, les yeux qui se fermaient tout seul. Ensuite, une grosse douleur au niveau de la poitrine. Ma vue a commencé à se troubler. J’ai eu des remontées acides. J’ai fait une sieste et en me réveillant, j’étais un peu plus en forme. Suffisamment pour boire quelques grands verres d’eau et m’installer dans le jacuzzi en face des montagnes. Au moment du repas, j’ai mangé plutôt léger car mes nausées étaient très importantes. Je me suis couché tôt afin d’être plus en forme demain.
Jour 128 : mile 1685,2 – Rutland
Je me lève après une excellente nuit. Je me sens beaucoup plus en forme. Mais ce n’était que temporaire. Après quelques minutes à peine, une intense fatigue est revenue. Les parents de friction avaient préparé un copieux petit déjeuner qui sentait excellemment bon. Je me suis installé à table et j’ai commencé à manger l’omelette. Du moins, j’ai essayé. Rien que porter ma fourchette était une épreuve. Mes nausées sont revenues. Ma tête s’est de nouveau mise à tourner, ma vue à ce troubler, ma poitrine à être douloureuse. Après trois bouchées, je n’étais même plus capable de mâcher l’omelette. J’ai fondu en larmes. J’étais dans un état de fatigue et de manque de force que je n’avais absolument jamais ressenti de ma vie. Pourtant, je venais d’avoir 3 jours de repos et je n’avais marché qu’une seule journée. Quelque chose n’était pas normal. Dans le doute, j’ai pris la dose de doxycycline que j’avais avec moi. 1h plus tard, j’étais déjà légèrement plus en forme.
Les parents de friction ont redéposé tout le petit groupe sur le sentier. De mon côté, j’ai demandé qu’ils me déposent aux urgences. Pour cela, il fallait conduire jusque dans la ville de Rutland, que j’étais normalement censé atteindre en 3 jours de marche. Une fois aux urgences, un test sanguin a été fait et ce que je craignais le plus, ma plus grosse peur sur cette aventure, est arrivé. J’ai été testé positif à la maladie de Lyme. Transmise par les tiques attachés pendant 24 à 36 heures, cette maladie provoque d’extrême fatigue et peut avoir de très lourdes complications à long terme. Le dernier tique que j’ai trouvé attaché sur moi remonte à il y a 2 semaines. Cette maladie peut prendre jusqu’à 3 semaines avant de se faire ressentir. Je suis abasourdi. D’abord le norovirus, puis le poison ivy, et maintenant la maladie de Lyme ? Avec toutes les inondations actuelles qui s’ajoutent à tout ça, je commence à croire que c’est un signe qu’il faille que j’abandonne ce projet.
Malgré les nausées, j’ai retrouvé suffisamment de force pour manger un peu de nourriture. Je suis passé à la pharmacie pour récupérer les 28 jours de traitement antibiotique. Cet antibiotique, le doxycline, est très efficace contre la maladie de Lyme. Néanmoins, il rend la peau extrêmement sensible au soleil. Il est impératif de limiter son exposition au soleil et d’utiliser de la crème solaire afin d’éviter de graves coups de soleil. C’est en plus de ça un traitement long terme; 28 jours. Concrètement, cela veut dire que jusqu’à la fin de l’aventure, je vais devoir me cacher du soleil. Un enfer.
Je ne suis absolument pas en forme aujourd’hui, même si les antibiotiques commencent déjà à faire effet. Je prends donc la décision de rester en ville et de me reposer un peu plus longtemps. Je rejoins du coup l’auberge de jeunesse tenue par le culte des Yellow Deli. Je les avais déjà rencontrés lors du festival trail days, et je suis arrivé dans leur très fameuse auberge de jeunesse. Bien qu’ils essaient de recruter les randonneurs pour rejoindre leur culte, c’est un endroit où je peux rester gratuitement et me reposer jusqu’à récupérer des forces.
Jour 129 Pluie 29 : mile 1698,6
Non, je n’abandonnerai pas ce projet aussi proche de la fin. Malgré de gros moment de doute, je ne me laisse pas abattre, je m’accroche, et j’arriverai au bout de cette aventure. Je me lève assez tôt pour pouvoir prendre le bus en direction de Manchester. Je m’arrête dans la ville de Wallingford, rejoins la route 140 et commence à y faire du stop afin de retourner sur le sentier. Après plus d’une heure d’attente, je me rends à l’évidence: je vais devoir marcher jusqu’au sentier. C’était presque 5 km pas très passionnants, en légère montée, mais plutôt simple. Une fois de retour sur le sentier, je commence à faire la première montée de la journée. Bien évidemment, elle était assez raide, et vu ma fatigue actuelle ce n’était pas la plus plaisante, mais lentement, j’ai fini par arriver au sommet.
Afin que je ne sois pas dépaysé, il s’est mis à pleuvoir. C’était prévu, et ça ne devrait pas être trop intense aujourd’hui. Demain par contre, c’est une autre histoire; de très grosses averses sont prévues et le risque de nouvelles inondations est très important.
Je fais beaucoup de pauses car je me sens très fatigué et je n’ai pas beaucoup de force. Je fais par contre bien attention à ne pas me mettre au soleil à cause de l’antibiotique. Le sentier est fort boueux par endroit mais ce n’est pas aussi catastrophique que je l’imaginais. J’arrive à garder mes pieds à peu près secs jusqu’à atteindre l’abri du soir. Il y a quelques traversées de rivière qui sont légèrement techniques mais le niveau de l’eau à considérablement baissé sur les derniers jours, en témoignent les dépôts de sédiments et de branches sur les côtés, me permettant de sauter d’un rocher à l’autre pour ne pas me mouiller.
Non sans mal, j’attends l’abri sur les coups de 15h30 après 17 miles de marche. De là, il me reste moins de 500 miles pour atteindre la fin de l’aventure. Il s’agit par contre des 500 miles les plus compliqués, et vu mon état actuel, ça me semble compliqué d’atteindre la fin. J’espère juste que les antibiotiques continuent de faire leur effet sur les prochains jours et que je retrouve une meilleure forme incessamment sous peu. J’ai par contre trouvé un nouveau tique accroché sur moi avant de me coucher… Il paraît qu’il y a 300% plus de tiques cette année car l’hiver a été très doux.
Jour 130 Pluie 30 : mile 1709,2 – Rutland
Il y a eu une très grosse tempête pendant la nuit. Des pluies diluviennes et un intense orage. Tout le Vermont est en alerte innondations à nouveau, et une partie du sentier dans le Connecticut et dans l’etat de New-York est fermé pour les mêmes raisons. L’abri dans lequel j’étais était par contre parfait : suffisamment grand pour que les rafales de vent qui emportent la pluie ne la ramène pas jusqu’à moi.
Vers minuit, il y a eu une accalmie. Je suis allé aux toilettes et j’ai vu que le ciel était parfaitement dégagé juste au dessus de moi. C’était une nuit où on était censé pouvoir voir des aurores boréales. Malheureusement, après 10 minutes, je n’ai rien vu. Je suis retourné me coucher. La tempête a repris un peu après.
On avait un réveil à 4h, quand la pluie devait s’arrêter, afin de monter au sommet du mont Killington avant que la tempête de 11h n’arrive. Départ donc très matinal alors que je suis déjà fort fatigué. Il ne pleut effectivement plus, mais mes pieds sont trempés car le sentier est un ruisseau. À 5 heures du matin, il faisait déjà lourd et j’étais dégoulinant de sueur.
La montée était particulièrement longue; 7km non stop, avec 700m de dénivelé. C’était assez raide par endroit mais dans l’ensemble, pas trop mal. Par contre, il y avait beaucoup de rochers et de racines. Je n’avais pas particulièrement le moral, d’une part à cause de la fatigue, mais surtout à cause du sentier en lui-même qui ne me plaît que très peu depuis 3 semaines. Alors quand la pluie qui ne devait pas être là est arrivée, je vous laisse imaginer l’état dans lequel j’étais.
J’ai fini par atteindre la jonction avec le sommet. Il s’agit d’un petit détour de 350m extrêmement raide; de l’escalade par endroits. J’étais épuisé, trempé, et maintenant exposé au vent qui me refroidissait considérablement. J’ai fini par glisser sur l’une des pierres, me retrouvant sur les coudes et claquant le genoux gauche sur le sol. J’étais vraiment dans un état d’énervement, de fatigue, de je n’en peux plus. Puis, j’ai atteint le sommet. Je me suis retourné, et j’ai fondu en larmes. Enfin. Enfin une vue. Une vraie vue. Enfin une vue qui en vaut le coup. Une vue que j’avais mérité avec mes efforts. Une récompense. Une vue absolument incroyable, à presqueue 360 degrés, sur une très longue distance, des grosses montagnes du Vermont et du New-Hampshire. Je retrouvais enfin une raison de continuer mon aventure. J’avais enfin repris goût à la marche. Après tant de temps à juste souffrir sans raison, j’étais enfin là à profiter de quelque chose de grandiose, parsemé de nombreux nuages difformes. Et je savais qu’à partir d’ici, l’aventure allait reprendre un tournant qui me plairait. Je me suis senti libéré. Je ne me suis par contre pas éternisé car il ne faisait que 8 degrés et le vent soufflait fort !
La descente était un peu longue, mais j’étais beaucoup plus apaisé. Par moment, il y avait des ouvertures dans la forêt offrant des petits points de vue. J’ai traversé quelques pistes de ski par exemple, et c’était très plaisant. En arrivant sur la route principale, j’ai pris un bus pour retourner au Yellow Deli à Rutland. J’ai passé la journée à me reposer.
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2 Commentaires
Courage Baptiste.
Ton aventure est belle mais extrêmement difficile et pourtant tu gardes toujours la tête haute….c’est admirable.
Merci pour tes encouragements ! 🙂