C’est définitivement l’une des pires année pour faire l’Appalachian Trail. De nouvelles inondations ont lieux et la pluie ne semble pas vouloir se calmer. En plus de rendre le sentier inaccessible et peu plaisant, ça ajoute une couche de risque lors des traversées de rivière… Sur cette section, je vais devoir garder mon calme et faire particulièrement attention alors que les conditions deviennent très dangereuses.
Jour 154 Pluie 40 : mile 2025,3
Je n’ai fait qu’une demi journée de marche aujourd’hui, commençant à 11h30. Néanmoins, j’ai fait la même distance qu’une journée complète, et avec beaucoup de dénivelé ! J’ai fait toute la chaîne des Bigelow, la dernière chaîne de montagne. Les montées étaient particulièrement raides, comme l’Appalachian Trail sait le faire. Il faisait froid et il y avait beaucoup de vent, donc je suis resté couvert.
En arrivant au sommet de la première montagne, j’avais une belle vue sur toute la chaîne et sur un lac en contrebas. Il y avait aussi un petit serpent qui se reposait sur un rocher. J’ai redescendu jusqu’au lac puis remonté jusqu’au second sommet. De là, malgré toute la brume, je pense que je voyais le sommet du mont Katahdin. Redescente puis remontée jusqu’au troisième sommet alors que le ciel se chargeait. Quand j’ai atteins le campement dans lequel je pensais passer la nuit, j’ai reçu une alerte inondation pour demain… C’est la 3 ème depuis que j’ai commencé cette randonnée, je commence sérieusement à en avoir marre. Je vérifie les prévisions et la pluie commence dès cette nuit. Alors je me dis que c’est mieux que je pousse jusqu’au prochain abri ce soir afin d’être au sec cette nuit. Seulement, bien évidemment, quand les prévisions annoncent 0% de chance de pluie, il pleut.
Avec le vent et la température, il fait vite froid. Il se fait tard, le soleil se couche, et je me retrouve à marcher presque dans le noir. Mais j’arrive à l’abri juste avant qu’il ne soit nécessaire d’utiliser ma lampe. À 15m de ce dernier, je me foule la cheville gauche, bien plus fortement que d’habitude. Je boite et j’ai peur que ce ne soit plus grave que je ne le pense. Une fois que mes muscles sont froids, la douleur est très intense. Je reprends donc un régime d’anti-inflammatoires…
Jour 155 Pluie 41 : mile 2043,3
La pluie s’est abattue fort une grosse partie de la nuit, mouillant tout le matériel et la nourriture qui était accroché juste au début de l’abri. Je suis par contre resté sec et c’était très appréciable. Quand j’ai vu l’état du sentier juste devant, j’ai préféré me rendormir. Vers 8h, je me suis tout de même décidé à me mettre en route. Ce n’était pas facile car il n’y avait pas beaucoup d’options pour quitter le sentier aujourd’hui si ça n’allait pas. Et se lancer le matin, quand on est sec en sachant pertinemment que ça n’allait pas être une bonne journée, c’est toujours compliqué.
Sous mon parapluie, je commence à marcher sur un sentier plat mais déjà bien humide et boueux. Je traverse une petite route de forêt, la pluie se calme légèrement. Ça reprend de plus belle juste après. De très grosses gouttes. Et ça restera comme ça jusqu’à la fin de la journée.
Au plus le temps passait, au plus le sentier se détériorait. De plus en plus de flaques, de boue… Je glissait régulièrement sur des rochers ou des racines. Je suis d’ailleur tombé à deux reprises. Fort heureusement, je ne ressentais pas trop la douleur à ma cheville car j’étais sous une grosse dose d’anti-inflammatoires. Il y avait tout de même une gêne.
Le sentier fini par se transformer en cascade. J’ai constamment les pieds dans l’eau, régulièrement jusqu’aux genoux. Mes pieds sont gelés. Mon dos commençait à s’humidifier et je ne pouvais pas m’arrêter sans avoir froid. Alors j’ai marché. Marché marché et marché. Sous une pluie qui ne se calmait pas.
L’eau a fini par atteindre la moitié de mes tibias. Il y avait des ruisseaux et flaques absolument partout dans la forêt. Les petits cours d’eau que je devais traverser s’étaient transformer en dangereuses traversée avec de l’eau jusqu’au dessus des hanches. Le courant était de plus en plus puissant. J’avais de plus en plus froid.
J’ai fait une courte pause au premier abri que j’ai croisé afin de manger quelque chose pour tenir les 10 miles restants jusqu’a des cabines que l’on peut utiliser pour la nuit. J’espérais qu’il y avait de la place mais impossible d’appeler car il n’y avait pas de réseau. J’ai eu la bonne surprise de trouver 3 filles qui ont été testées positive au covid dans les dernières 48h. Ces 3 même filles qui, malgré leur test positif, n’ont eu aucun scrupule à dormir dans un dortoir. Sans prévenir personne, et sans masque. Plus que de l’irrespect, c’est de l’inconscience à ce niveau là. Je suis resté à l’exact opposé de l’abri, à moitié sous l’eau pour limiter mon exposition.
C’était ma première et dernière pause de la journée. J’avais peur. Peur de voir le niveau de l’eau augmenter partout. Peur du froid. Peur de voir que les lacs débordaient, et que les traversées devenaient de plus en plus dangereuses. Peur de ne pas avoir de cabine et de devoir dormir en tente par ce temps, alors qu’elle n’est plus imperméable et qu’une couche d’au moins 2cm d’eau recouvre le sol absolument partout.
J’ai atteins les cabines, réalisant les 28km en moins de 6h. Je me suis blessé les chevilles et genoux a plusieurs reprises lorsque mes jambes s’enfonçaient jusqu’a mes hanches dans la terre ou lorsque je glissait sur une racine invisible dans l’eau opaque qui se déversait sur le sentier. Mais j’étais enfin au sec dans la salle à manger. Tim, le propriétaire, m’a servi un chocolat chaud un régal, surtout vu comme je tremblais. Il n’acceptais que les espèces et je n’en avais pas avec moi. Il m’a par contre autorisé à dormir à la belle étoile sous le porche. C’était très rassurant de dormir à l’abri de la pluie et de l’orage qui s’était installé. J’étais lessivé et un peu sous le choc de cette journée quelque peu traumatisante. Mais j’étais au sec, et en un seul morceau. Le reste de l’équipe a quitté de sentier a la première route, rejoignant une auberge de jeunesse avant que le deluge ne commence. J’aurai probablement dû faire de même.
Jour 156 : mile 2052,7
J’ai très bien dormi à l’abri de la pluie. Le matin , j’ai eu le droit à un petit-déjeuner préparé par Tim. Il y avait par contre les trois filles qui ont été testés positives au covid. Lorsque je leur ai fait une remarque, leur demandant de porter un masque ou au moins d’éviter les lieux publics, j’ai eu le droit à toutes sortes de remontrances, comme si c’est moi qui était en tort.
J’ai marché quelques miles jusqu’à atteindre la rivière Kennebec. Le sentier la traverse, sans pont. Mais on ne parle pas d’un petit courant d’eau, on parle d’une rivière bien profonde, large de 50m avec un débit très important. Avec les pluies des derniers jours, j’étais persuadé que la navette, un canoë qui vient nous chercher, ne tournerai pas. Lorsque l’eau est trop haute, il faut soit attendre quelques jours, soit faire demi tour et payer un taxi pour en faire le tour, pour la modique somme de 170$…
Heureusement, l’un des 3 conducteurs du canoë a tout de même accepté de faire les allez retours. Il a dit que c’était la première fois qu’il faisait ça par autant d’eau, et qu’il ne prendrait qu’une personne à la fois plutôt que deux d’habitude. Il m’a fallu presque 2h30 pour atteindre l’autre rive tant nous étions à attendre. Le courant était très fort, et j’ai pagayé particulièrement puissamment pour que l’on arrive à tenir une ligne droite sans se retrouver à 100m en aval.
De là, j’ai fais du stop pour rejoindre un restaurant, charger mes batteries, manger et profiter du jacuzzi. Ensuite, j’ai attendu une bonne heure en faisant du stop pour rejoindre le sentier et continuer ma route vers le nord pour un bon 5 miles. Le sol était très boueux et humide, mais un peu moins innondé que la veille.
Jour 157 : mile 2074,7
Une fois de plus, je suis réveillé à 4h45 par les deux femmes qui étaient dans l’abri. Je ne commence à bouger qu’à 5h45, et en partant à 6h30 après avoir vraiment pris mon temps, elles n’étaient toujours pas prêtes à partir…
Je débute la journée sur une montée jusqu’au sommet de la montagne Pleasant Pond. Difficile de résister à la tentation des énormes myrtilles sur la route… Je fais de nombreuses pauses pour en manger des mains complètes. Au sommet, je scrute l’horizon et… Je vois très bien le sommet du mont Katahdin. Incroyable de le voir de là… Ça me donne des frissons de me savoir si proche de la fin.
Redescente jusqu’à atteindre un abri dans lequel je prendrai mon repas du midi, puis c’est reparti. J’arrive à une traversée de rivière. Il y a beaucoup d’eau, ça avance vite. Je traverse lentement, passant d’un rocher à un autre. L’eau m’arrive au niveau des genoux. Puis c’est reparti pour un sentier fort boueux. C’est aussi le retour des moustiques et moucherons; ils ne m’avaient pas manqués, mais comme je suis a une plus faible altitude, c’était à prévoir.
J’arrive à une seconde rivière que je traverse de la même façon et pareil, ça m’arrive aux genoux donc pas trop compliqué. Puis à un second abri dans lequel il y avait de la trail magic : des bières, sodas et fruits laissés là par des randonneurs qui repasseraient le soir pour récupérer les déchets. Vraiment très gentil ! Ça m’a donné la force nécessaire pour faire la seconde ascension de la journée, manger quelques (beaucoup) de myrtilles, puis redescendre jusqu’à une sur te de canyon. Je suivais la rivière jusqu’à ce que le sentier ne fasse un virage à 90 degrés et la traverse. C’était une longue traversée. Je commence comme les deux précédentes mais quand l’eau m’arrive aux hanches, je comprend que ca va etre un peu plus compliqué. Je met tout mon équipement électronique dans ma banane, que j’accroche autour de mon cou. Je continu la traversée. Je ne vois pas le fond car l’eau est noire, donc je teste chacun de mes pas. Le sol est glissant.
Je m’enfonce de plus en plus, jusqu’à avoir de l’eau presque à hauteur des tétons. Quand je plante mes bâtons de marche, mes mains sont sous l’eau, et ils tremblent tant le courant est fort. Je manque de perdre l’equilibre à plusieurs reprises ce qui aurai été très dangereux à cause des rapides plus bas. J’ai eu quelques secondes de panique mais je me suis concentré et repris en main. J’ai fini par atteindre l’autre rive. C’etait la traversée la plus dangereuse que j’ai pu faire des trois randonnées.
Le reste de la journée était bien plus simple. Beaucoup de boue, mais un faux plat descendant jusqu’à l’abri. J’y ai retrouvé Mister Happy que je n’avais pas vu depuis de nombreux mois. Pendant qu’il pêchait, j’ai préparé un feu, non sans mal car tout était humide. Il a ramené un poisson qu’on a grillé puis mangé. C’était bien sympa ! Quand j’allais me coucher, les moustiques étaient si nombreux que j’ai monté ma moustiquaire que j’ai tenté de fermer avec du scotch car les deux fermetures éclairs sont cassées… Pas terrible, mais mieux que rien.
Jour 158 : mile 2083,7 – Monson
Il y a eu beaucoup de pluie cette nuit, ce qui n’était pas rassurant pour la seconde traversée de la rivière. Je me met en route un peu inquiet. Quand j’y arrive, je me prépare à devoir faire la même chose qu’hier. Néanmoins, l’eau ne m’arrive pas plus haut que les hanches. Il avait tout de même pas mal de courant, mais je n’ai pas eu de mal à traverser.
Le reste de la matinée était très simple. C’était un faux plat ascendant jusqu’à arriver une route que j’ai emprunté jusqu’à arriver à l’auberge de jeunesse. Il y avait par contre beaucoup de boue et le sentier était un peu inondé. J’ai bien l’impression que ce sera comme ça jusqu’à la fin de l’aventure car il y a encore de la pluie de prévu dans les jours qui viennent.
J’arrive finalement dans la ville de Monson qui s’avère être la dernière de cette randonnée.
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