Je ne regarde pas vraiment en avance ce qui m’attend sur les sections devant moi, et heureusement. J’aurai perdu toute motivation si j’avais su à quel point l’état de Pennsylvanie était un enfer. Néanmoins, je ne me suis pas laissé abattre et j’ai poussé mon corps et mon esprit au travers de ces sentiers rocheux et de ces intenses pluies pour rejoindre le 8 ème état de l’aventure.
Jour 93 : mile 1149,5 – Duncannon
Vous l’avez peut être vu, les feux au Canada sont de plus en plus intense, et le vent pousse la fumée vers les US rendant l’air de New-York irrespirable par exemple. Et bien la Pennsylvanie n’est pas épargnée. La qualité de l’air est considéré comme « critique ». Il était très fortement déconseillé de sortir, mais j’avais une chambre d’hôtel de réservée dans la ville d’après à seulement 17 miles de là. Après une petite nuit peu réparatrice du fait d’un mal de gorge et d’une petite toux, je me met en route direction Duncannon. Il fait déjà chaud alors qu’il n’est même pas 8h.
Je remonte le long de la route jusqu’à rejoindre le sentier que j’emprunte. Tout comme la veille, je traverse de nombreux champs bien exposés au soleil, sur un chemin plat. J’aurai pu avancer à vive allure mais j’avais du mal à respirer et je ne voulais pas trop m’essoufler. Je ne voyais pas à plus de 200m de moi tant le nuage de fumée était épais. Le soleil illuminait mon environnement d’une lumière rouge orangée, contre son jaune habituel.
Le sentier passe dans la forêt, remontant le long d’une montagne. Première des deux montées de cette journée. Je la fait lentement car je tousse de plus en plus. J’arrive finalement à une route et je me pose la question d’abandonner pour aujourd’hui ou non. J’ai déjà vécu ce genre de fumée l’année dernière, et ça peut durer pendant de nombreux jours, donc je décide de tout de même continuer ma journée.
J’arrive au dernier ravitaillement en eau de la journée. Je fais une petite pause pendant laquelle je mange l’une des gaufres que j’ai ramenée de l’hôtel. Puis je reprend. Quelques minutes plus tard, mon nez se met à saigner. Entre la fatigue, les pollens qui me font éternuer de très nombreuses fois chaque jour, la chaleur et la qualité de l’air, c’était à prévoir. Mais je ne me laisse pas abattre et je fais la dernière montée. De là, le sentier suit la crête de la montagne. Le sol est constitué de rochers et de graviers, particulièrement douloureux pour le dessous des pieds. Je suis contraint de faire quelques pauses. Moi qui pensait que changer de chaussures allait éviter ça…
J’arrive finalement à l’hôtel, épuisé. Avec Squirrel, on récupère la clé de la chambre et on monte dans cet immeuble vieux de 118 ans. Dans le couloir, de nombreux meubles sont entreposés sans raison apparente. Il ouvre l’une des armoire et trouve une bière. Sacré trouvaille ! Du coup, on s’est mis à faire une chasse aux bières de Pâques. Dans une autre armoire, une seconde bière ! Dans une troisième, 3 shots d’alcool. Dans une quatrième, des coca ! Dans une 5 ème, une bonne centaine de munitions de diverses armes. Dans l’armoire de la chambre, un caleçon souillé. On en revenait pas. Ça, et l’insalubrité des lieux, c’était hors de ce monde. Les toilettes communes n’ont pas été lavées depuis quelques années. Les murs sont plein de moisi, et pour couronner le tout, j’aurai pu faire une barbe à papa avec toutes les toiles d’araignée. Le lieu était… Particulier.
Jour 94 Pluie 20 : mile 1167,3
J’ai enfin réussi à récupérer de toute la fatigue que j’avais accumulé ces derniers temps. Je profite d’un bon petit déjeuner en ville et je reprend ma route vers Katahdin sur les coups de 9h30. L’air est bien mieux qu’hier ! Ce n’est pas encore terrible, mais c’est clairement plus simple de respirer. Je tousse néanmoins toujours un peu.
Je traverse deux ponts jusqu’à arriver à la voie ferrée que le sentier traverse. Elle est connue pour parfois empêcher les randonneurs de passer pendant plusieurs heures, soit parce que le train est excessivement long et lent, soit parce qu’il est stationné là et qu’il est illégal de s’en approcher. Le train qui était en train de passer ne m’aura bloqué que 2 minutes. Très bon timing !
La journée est plutôt classique. Pas beaucoup de dénivelé mais à faire en deux côtes seulement. Beaucoup (beaucoup) de rochers à escalader ou à fouler pour le plus grand malheur de mes pieds et chevilles. J’ai pu avoir quelques points de vue un peu plus dégagés que la veille, c’était plaisant.
En fin d’après midi, la pluie est venue et pour la première fois depuis le début de l’aventure, j’en était plutôt content ! Ça va aider à purifier l’air afin que les prochains jours soient encore mieux que maintenant. Ça a vite rafraîchi l’atmosphère. Par chance, j’ai eu droit à une accalmie d’une heure quand je suis arrivé au campement, me laissant le temps de ravitailler en eau et de monter ma tente.
Jour 95 : mile 1192,2
C’est une journée intense qui m’attendait. Après une nuit en tente avec beaucoup plus de pluie que prévu, je me réveille bien reposé et déterminé à faire les 25 miles qui me séparaient de l’abri que je voulais rejoindre. Peu après avoir commencé à marcher, le sentier s’est mis à remonter sur un ancien chemin qui mène jusqu’à des mines. C’est sympa, même si très rocheux. Par contre, toutes les sources d’eau sont contaminées et il n’est donc pas conseillé de compter dessus. Heureusement, j’avais prévu le coup.
À midi, je fais une pause pour sécher ma tente et me remplir la panse. Peu après, j’avais l’option de suivre le sentier qui traverse Beaver Dam, une section inondée à cause de barrages de castors, ou prendre un chemin alternatif pour l’éviter. J’ai tout de même voulu faire cette section car le soleil s’était levé et les tronc d’arbre sur lesquels je pouvais marcher pour traverser devaient être secs. Et je ne me suis pas trompé. À peine 20m à traverser sur deux troncs et je suis de l’autre côté. Il y a beaucoup trop de rumeurs sur ce sentier, c’est fatiguant. Ce passage n’avait aucune difficulté, ni aucun risque.
En milieu d’après midi, j’ai atteint un joli point en métal que j’ai traversé. De l’autre côté m’attendait de la trail magic avec quelques soda et barres chocolatées. C’était vraiment sympa et ça m’a donné la force nécessaire pour faire les derniers miles dont le début était particulièrement raide. J’ai tout de même marché plutôt vite dans l’ensemble aujourd’hui. Ça devient de plus en plus douloureux au niveau de la plante des pieds.
Jour 96 : mile 1211,3
J’avais prévu une plus petite journée que la veille aujourd’hui, afin de ne pas trop pousser. C’était par contre ennuyant. Marcher sans cesse dans une forêt dont chaque mètre ressemble au précédent devient long. Heureusement, j’ai de nombreux podcast à écouter, dont les excellents Radiolab et Ologies, des podcasts de vulgarisation scientifique. Par contre, j’ai trouvé un tique attaché au niveau de mon genoux. Il était vraiment minuscule. Plus petit qu’un grain de couscous ! Ce sont ces tiques qui peuvent donner la maladie de Lyme. Je le retire mais la tête reste sous ma peau. Du coup, j’utilise mon couteau pour creuser dans la plaie et la retirer. Je pense l’avoir trouvé assez tôt pour ne pas avoir trop de risques d’être contaminé.
J’arrive à l’abri sur les coups de 16h et je constate que la source d’eau n’est pas terrible. Malheureusement, je n’ai pas le choix car c’est la seule à des kilomètres à la ronde. Je ravitaille tant bien que mal puis je vais m’installer. Il y a de plus en plus de monde autour de moi. Deux groupes qui vont vers le nord et un qui va vers le sud m’ont rejoint. On a fait un petit feu de camp mais j’ai vite ressenti mes yeux se fermer. Je me suis couché avant 20h.
Jour 97 : mile 1220 – Shartlesville
Je quitte l’abri pour ce qui s’apprête à être une petite journée. En effet, de très grosses pluies sont prévues aujourd’hui. Par très grosse, j’entends plusieurs centimètres d’eau pendant au moins 6h d’affilées. Je marche donc assez vite, espérant arriver en ville avant que la pluie ne commence. Mes pieds sont si douloureux qu’au premier croisement avec la route de terre qui longe le sentier, je la prend. Le terrain est tout de suite beaucoup moins rocheux. Un bonheur. Je trouve même une tortue qui se laisse prendre en photo.
Quand je rejoins le sentier, c’est principalement de la descente. La dernière partie est d’ailleurs si raide que je suis bien content qu’il ne pleuve pas encore; ça doit être si dangereux quand c’est humide ! Je traverse 4 voies ferrées et rejoint la route sur laquelle je fais du stop pour aller au magasin le plus proche. Nous souhaitons tous rester en ville pour la nuit afin d’éviter la pluie, mais tous les hôtels étaient déjà réservés à cause d’un mariage. On a dû prendre une navette pour aller dans la ville d’à côté, partager une chambre d’hôtel miteuse. Mais au moins, nous étions à l’abri de cette énorme averse qui a commencé sur les coups de midi.
Jour 98 : mile 1246,6
Après une excellente nuit au sec, je prend une navette pour retourner sur le sentier. Bien évidemment, je saute sur l’occasion d’enfin essayer Dunkin’Donut, une chaîne de fast-food spécialisée dans les donuts, pour le petit-déjeuner avant de sauter dans la voiture. Me voilà reparti dans ce frais matinal après une grosse journée de pluie.
Première montée particulièrement raide pour retourner sur la crête que je vais suivre pendant une grosse partie de la journée. Je suis rattrapé par Timber avec qui je commence à parler tout en marchant quand d’un coup, une perdrix sort d’un buisson à quelques mètres de nous et tout en criant, se met à nous courir dessus, son plumage tout gonflé. Elle avait probablement des petits dans les environs et essayait de nous faire peur. C’était assez étonnant comme rencontre. Un peu après, je suis passé à côté d’un réservoir d’eau. J’ai mangé mon repas là car j’ai trouvé l’endroit particulièrement reposant.
Le reste de la journée jusqu’à l’abri était peu intéressant. Je n’aime vraiment pas cet état. Les vues sont presque inexistantes (et celles qui existent sont souvent décevantes), le sentier est jonché de pierres qui défoncent ma plante des pieds, et les villes ressemblent plus à des villes fantômes. J’ai vraiment hâte de le quitter ! J’ai d’ailleurs de plus en plus de douleurs sous les pieds et ça commence à devenir inquiétant. On est tous dans le même cas, et notre état empire d’autant plus que le sentier empire.
J’étais censé m’arrêter à l’abri aujourd’hui, mais en arrivant là-bas, j’ai trouvé une source d’eau complètement sèche malgré la pluie d’hier. Pas le choix, je suis contraint de faire 4 miles de plus pour atteindre une auberge de jeunesse… J’étais vraiment en souffrance et je n’avais plus de force, mais je n’avais pas le choix ! L’eau est rare sur ces sections.
Jour 99 Pluie 21 : mile 1267,5
Je quitte l’auberge de jeunesse avec 3 litres d’eau. La météo était plutôt correcte, mais de grosses averses étaient prévues. Une heure plus tôt qu’annoncé, une petite pluie a fait son apparition. Suffisamment pour mouiller le sentier qui ne ressemblait plus à rien. En passant d’un rocher à un autre, j’ai glissé et je me suis blessé le genou droit. J’étais en colère. Deux minutes plus tard, j’ai glissé à nouveau et je me suis mal réceptionné sur ma cheville droite, causant une petite entorce particulièrement douloureuse. Je suis en plein dans la section que l’on appelle Rocksylvania, le paradis des rochers en Pennsylvanie. C’est usant, tant pour le corps que pour l’esprit, et ça ralenti considérablement.
Je m’arrête au premier abri et me calme avant de reprendre ma route. La pluie s’intensifie. Je suis plutôt sec sous mon parapluie, ce qui est plaisant, mais ça reste tout de même inconfortable de marcher par un tel temps. Surtout sur un sentier pareil. De longs miles de petits rochers qui blessent la plante des pieds à chaque pas… Quand j’arrive au second abri, dernier ravitaillement en eau de la journée, je fais une petite pause pendant laquelle la pluie s’arrête. Un coup d’œil à la météo annonce que le risque de pluie n’est plus que de 30% pour les prochaines heures. Plutôt confiant, ma cheville allant un peu mieux, je décide de pousser jusqu’au campement que j’avais initialement prévu. Le sentier redescend jusqu’à une route et un pont, que je traverse. De là, je me retrouve sur le pan d’une montagne. La montée est plutôt abrupte, mais boosté par la caféine, je la monte sans soucis jusqu’à ce que… Le sentier n’existe plus. Je suis face à des murs de pierre avec des marquages qui indiquent le sentier, mais il n’y a pas de chemin. Je range mes bâtons de marche et je commence cette ascension qui n’a plus aucun sens. Une montée à 44 degrés de moyenne. De l’escalade pure et dure par moments. Pour couronner le tout, j’entends derrière moi le ciel gronder. Je me retourne et voit qu’une tempête de dirige droit sur moi. Je me hâte d’atteindre le sommet.
Excellent timing, une des plus grosse averse que j’ai pu vivre de ma vie commence quelques secondes après que j’ai atteint le sommet. Des éclairs à n’en plus finir, au moins 3 par secondes, une pluie torrentielle qui a complètement masqué les alentours, et un vent qui rendait la scène encore plus chaotique. Un combo parfait pour un bon bordel ! Et, étonnement, sous mon parapluie, baloté dans tous les sens, j’ai pris beaucoup de plaisir. J’ai crié de joie malgré les douleurs aux pieds, malgré les conditions. Ça a duré une bonne demi-heure avant que ça ne laisse place à un grand soleil et une vue incroyable sur tous les plateaux alentours, le tout avec un jeu de lumière impressionnant. C’était génial !
Puis la pluie a repris. Puis elle est repartie. Elle est revenue, et repartie une fois de plus. J’étais pas loin du campement quand j’ai entendu parler d’un bar et restaurant dans une station de ski très proche du sentier. Ni une ni deux, j’ai foncé vers cette dernière. Quand j’étais à l’intérieur en train de me régaler, la pluie est revenue une dernière fois. En sortant, le soleil pointait le bout de son nez. J’ai remonté la piste de ski puis coupé à travers la forêt pour rejoindre le sentier. En arrivant au campement, j’ai monté ma tente et fait une séance de massage particulièrement complète. Mon corps était particulièrement fatigué, et la caféine s’était estompée.
Jour 100 : mile 1290,5
J’ai passé une excellente nuit et je me suis levé pour une grosse journée ! En plus, tout mon matériel est sec. J’ai commencé ma journée le long de la crête que j’avais commencée hier. Au début, ça va, les rochers ne sont pas trop douloureux mais ce n’est que temporaire. Les douleurs arrivent petit à petit. En plus, je porte beaucoup d’eau car les ravitaillements se font très rares sur toute cette section. Le poids de mon sac augmente donc la pression sur mes pieds.
Après une longue descente, j’arrive au croisement avec la route qui va à Wind Gap. À quelques centaines de mètres de la route, il y avait un hôtel dans lequel je pouvais ravitailler en eau. J’ai profité pour acheter quelques sodas et faire ma pause du midi. Il ne me restait plus beaucoup de mail pour la journée mais je n’étais pas prêt pour ce qui allait m’attendre.
Je quitte l’hôtel avec 4 litres d’eau et de soda car il n’y a aucun ravitaillement avant la prochaine ville. La première montée était beaucoup trop raide pour être plaisante. Je n’avais plus beaucoup de force, donc j’ai pris de la caféine et ça m’a clairement aidé jusqu’au sommet. De la, j’allais commencer la pire section de tous cet état : 7 km de rochers, sans repos. D’habitude, les sections rocheuses ne sont que de quelques centaines de mètres avec un peu de sentier normal entre deux, mais celle-ci est différente. Je suis en souffrance mais je continue de marcher en espérant arriver à l’abri le plus tôt possible pour me faire de long massage. À toute cette douleur, s’ajoutent les pollens qui reviennent en force. Je saigne du nez à deux reprises , je sens mon cœur battre dans ma narine droite, et il coule sans cesse. Je ne prends pas le petit détour qui évite de monter sur Wolf Rocks car je me dis que j’aurai sans doute une belle vue en récompense, mais je suis vite revenu sur terre. Il n’y avait pas de vue.
Les pieds en feu, j’atteins l’abri dans lequel je m’écroule. Assis, je me suis endormi pendant quelques minutes. J’ai ensuite pris le temps de me masser les voûtes plantaires, de me préparer un repas puis de m’endormir sans demander mon reste.
Jour 101 Pluie 22 : mile 1296,9 – Delaware Water Gap
Aujourd’hui , c’est mon dernier jour dans l’état de la pennsylvanie. Vous n’imaginez pas à quel point je suis content d’enfin quitter cet enfer. Cet état n’a absolument rien à offrir; il n’y a aucune vue, les villes sont très peu attrayantes, le sentier est douloureux, et la forêt d’un ennuis profond. Dans cet état , je n’ai clairement pas retrouvé assez de plaisir pour contrebalancer avec toute cette souffrance et cet ennuis. Je croise les doigts pour que la suite de l’aventure soit plus intéressante, car il est inconcevable de faire les 1500 km qu’il me reste si le sentier est comme ça jusqu’à la fin.
Je marche pendant deux petites heures jusqu’à atteindre l’auberge de jeunesse dans laquelle je m’installe, fais une douche, puis rejoins le reste du groupe au restaurant afin de fêter l’anniversaire de Mantis. Demain, je commencerai le 8ème état qu’est le New Jersey. Les 20 premières miles devraient être encore assez douloureux, mais ça devrait revenir à la normale après ça !
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