C’est une section avec beaucoup de points importants qui m’attend, dont la complétion de la première moitié de l’aventure. Mais c’est aussi une section sur laquelle je vais atteindre mon plus bas physiquement et psychologiquement. Une montagne russe d’émotions, deux nouveaux états et des retrouvailles qui vont grandement m’aider à passer des moments difficiles.

Jour 86, 87 : mile 1027,7 – Harpers Ferry

Sentant que mon corps commençait à très sérieusement fatiguer, et que l’état de mon genou ne s’améliorait pas, j’ai décidé de faire une journée complète de repos dans cette petite ville touristique. Comme à mon habitude, je me suis goinfré de glaces et de kombucha. J’ai discuté avec les personnes qui gèrent l’auberge de jeunesse et à ma plus grande surprise, le propriétaire est revenu avec une bouteille de Gulden Draak, ma bière belge préférée, qu’il est très compliqué de trouver aux US. On en avait parlé le matin et en faisant ses courses, il est tombé dessus par hasard !

Je pensais ne passer qu’une journée de repos, mais quand j’ai vu la température qui était prévue, j’ai vite changé mes plans. 36 degrés et 70% d’humidité. Mon genoux pouvait profiter d’un peu plus de repos. De plus, l’auberge de jeunesse a proposé de nous prêter des bouées et de nous déposer quelques kilomètres en amont de la rivière afin qu’on la descende en flottant. C’était très sympa, enchaînant les rapides les uns après les autres tout en flottant. Une activité très détente. Le timing était en plus parfait car lorsqu’on est passé en dessous du pont avec la voie ferrée, un train est passé ! Par contre, malgré la crème solaire que j’ai mise, après deux heures en plein soleil, je me suis retrouvé avec de très gros coups de soleil aux cuisses et au ventre. Je ne comprends vraiment pas. Je sais que je vais souffrir les prochains jours et ça ne m’enchante pas du tout.

Jour 88 : mile 1052,4

Réveil vers 5h45 afin de faire et manger quelques gaufres avant de prendre la route. Mes coups de soleil sont toujours très douloureux, et ceux sur mes jambes ont commencé à faire des cloques. Je profite du frais matinal pour essayer de faire de la distance mais au bout de 4 miles, je n’ai pas de force ni de motivation. Je prends une pilule de caféine, je lance un peu de musique, et je reprends la marche sur un sentier plutôt plat mais parsemé de rochers. C’est un peu violent pour les chevilles, dont la droite qui commence à me lancer, mais j’essaie de ne pas y prêter attention.

Au bout d’un moment, on m’appelle. Je regarde, et c’est Timber qui était sur le côté du sentier. Je m’installe avec lui pour manger mon repas du midi et me rend compte que j’avais déjà fait 16 miles, soit presque 26 kilomètres, sans pause, et sans m’en rendre compte ! Je suis de plus en plus impressionné par la distance et la vitesse que je suis capable d’avoir.

Premier jour de weekend, il y avait beaucoup de monde sur le sentier, marchant principalement vers le sud. Des groupes entiers qu’il fallait parfois laisser passer, cassant un peu mon rythme de marche. Ça s’est calmé après que je sois passé de l’autre côté de l’autoroute 70.

Je pensais faire 20 miles aujourd’hui, mais vu l’heure en arrivant au campement, j’ai continué de pousser un peu. J’ai atteint Black Rock Vista, un rocher qui offrait une très belle vue sur les alentours. Juste avant que je n’y arrive, j’ai dû traverser un petit sentier avec de gros rochers. J’étais en train de descendre de l’un quand j’ai remarqué qu’il y avait un gros serpent venimeux juste sous mon pied. En une fraction de seconde, j’ai réussi à diverger la trajectoire de mon pied afin qu’il se pose à quelques centimètres de lui et non en plein dessus. J’ai ensuite immédiatement sauté sur le côté pour éviter qu’il ne me saute dessus. Ça s’est vraiment joué à rien ! Une centaine de mètres plus loin, un autre weekend venimeux a traversé le sentier à quelques centimètres à peine de moi, tapant un sprint. Il m’a surpris tout autant que le précédent et j’étais une fois de plus à quelques centimètres de marcher dessus !

Quand je suis arrivé au campement, j’ai pu retirer mes vêtements et remettre de la crème contre les brûlures. J’étais vraiment en souffrance à cause des frottements de mon short sur les cloques. J’ai finalement fait une bonne distance aujourd’hui, je suis très content de moi ! La chaleur (33 degrés) a rendu la journée un peu plus compliquée que prévu, mais à 17h, j’étais dans ma tente en train de faire une sieste.

Jour 89 : mile 1075,6

Grosse journée de prévue ! Après quelques kilomètres pour rejoindre une route, je retrouve Wowgirl, du CDT, que j’avais revu il y a quelques semaines. Elle est venue pour faire de la trail magic comme elle n’habite pas très loin. J’ai droit à quelques muffins, des chips et des sodas. Elle va aussi garder une grosse partie de mon matériel pour la journée, histoire que je puisse marcher en me fatiguant moins (slackpack). Le dénivelé n’est pas trop important, mais le sol est très rocheux et mes deux genoux deviennent particulièrement douloureux.

Je voulais prendre une pause vers midi sur les rochers de High Rock. Au plus je m’en approchais, au plus il y avait des tags sur les rochers. En atteignant le sommet, j’ai été écoeuré de voir des voitures de luxe faire un boucan pas possible juste pour dire de faire du bruit, et des rochers et arbres complètement tagués. C’était immonde. J’ai immédiatement fui les lieux.

Un peu plus loin, j’ai retrouvé Wowgirl à nouveau. Un peu de nourriture, et je reprenais la route. Quelques minutes plus tard, je rentrais dans l’état de Pennsylvanie, quittant le Maryland, 6ème état de l’aventure. Les dénivelés positifs devraient de plus en plus diminuer pour quelques jours. Je retrouve Wowgirl pour une dernière fois, je récupère mon sac, prends un dernier soda et marche jusqu’au campement où se trouvent deux petits abris. Les toilettes sèches ont une sonnette et un interrupteur, ce qui est assez anodin !

Jour 90 : mile 1095,2

Très mauvaise nuit. Je suis réveillé à 2h du matin par une douleur au cou, et impossible de me rendormir. A 5h30, je range les affaires et je commence à marcher, extrêmement fatigué, sans moral et sans force. Je prends une pilule de caféine en espérant que ça rende cette mauvaise journée légèrement moins compliquée. Une heure de marche plus tard, en pleine réflexion sur le pourquoi du comment je me retrouve là à faire quelque chose qui ne me procure aujourd’hui aucun plaisir, l’un des strap de mes bâtons de marche casse. Je tombe. Je suis abasourdi par la situation. J’ai l’impression d’être à bout. Sans les straps, les bâtons sont presque inutiles car je ne peux pas utiliser la force de mes bras pour aider mes genoux et chevilles…

À peine 3 minutes plus tard, je tombe nez à nez avec un chipmunk en train de courir en rond sur le sentier, en émettant des cris. Il roule quelque fois sur son dos et tente de se remettre en course. Il est en train de mourir devant moi, probablement mordu par un serpent. C’est le moment où j’ai craqué. J’ai atteint ma limite, la journée devait s’arrêter. Mais non, ex encore un bon 25km à faire. Je me suis effondré, et il m’a fallu une bonne demi-heure pour reprendre mes esprits et continuer ma journée. Je n’ai pas arrêté de me prendre les pieds dans des racines ou des rochers. J’ai fait tomber un de mes écouteurs que j’ai mis dix minutes à retrouver. Je n’en pouvais juste plus de la journée. 650mg de caféine et j’étais toujours un zombie.

J’ai forcé absolument toute la journée, sans un once de plaisir. Les montées étaient trop raides, il faisait chaud, et j’avais juste mal partout. C’était un enfer d’aller jusqu’à l’abri. Et pour couronner le tout, quand j’y suis arrivé, il était fermé car un traitement anti punaises venait d’être fait. J’ai monté ma tente, grignoté quelques barres et, à 17h30, j’étais dans mon lit.

Jour 91 Pluie 19 : mile 1112,3

Après une nuit de presque 12 heures, je me réveille bien plus en forme que la veille. Le moral est meilleur, et les genoux moins douloureux. Je prends la route sur les coups de 6h30 pour une journée particulièrement importante. Après deux heures de marche, j’atteins le mile 1099,2. À priori, rien de particulier là. Je marche jusqu’au mile 1099,3 en regardant sur les côtés mais je ne trouve rien. Je reviens sur mes pas et je remarque que le sol a été piétiné et qu’il y a un petit tas de gravier à côté. Je me trouve alors à l’exacte moitié de toute l’aventure. Pour une raison qui m’échappe, quelqu’un a déconstruit ce marqueur important de l’aventure. J’en créé un nouveau, j’ouvre une canette de coca et je profite de cet instant particulier. Après 91 jours, je termine la première moitié de l’Appalachian Trail.

C’est toujours un moment délicat. Certains disent qu’ils ont seulement fait une moitié tandis que d’autres parlent d’avoir déjà fait la moitié. Chacun voit le verre tel qu’il le veut, et ça a un impact sur le moral de tout à chacun. De mon côté, j’alterne beaucoup entre les deux sentiments, mais l’excitation d’avoir fini la première moitié est souvent plus importante que l’idée de devoir refaire autant de distance que déjà parcouru.

Je reprend la marche mais non sans mal car la qualité de l’air est très mauvaise aujourd’hui. Un feu de forêt pas très loin créé un nuage de fumée que le vent transporte jusqu’ici. Le ciel est blanc, le soleil est rouge et la lumière ressemble plus à un coucher de soleil qu’à une matinée. J’ai quelque difficultés à respirer mais je ne me laisse pas abattre et j’avance pendant une heure et demi jusqu’à atteindre Pine Grove. Petit village touristique, c’est surtout l’endroit où a lieu le challenge du demi galon. Le but est de réussir à manger 2,25L de glace. Je sais que je n’en suis pas capable, donc je me suis contenté de deux burgers de 800gr, un pot de glace d’un demi litre, un bâtonnet de glace, et 3 sodas. J’ai digéré le tout sur la plage qui borde le petit lac, et j’ai repris la route quand la pluie est arrivée. Elle n’aura duré qu’une petite demi-heure et rafraîchit l’atmosphère. Une montée et une descente plus tard et j’arrivais au campement dans lequel j’installe ma tente avant que la pluie ne revienne succinctement. Plus que 1739km à marcher !

Jour 92 : mile 1132,2 – Carlisle

Journée particulière de prévue. J’avais beaucoup de distance, mais je traversais une petite ville. Je me mets en route assez tôt malgré une nuit peu réparatrice. Le sentier redescend vers une section de forêt parfaitement plate. C’était très plaisant de marcher là, dans le frais, jusqu’à ce que je ressente une intense douleur à la cheville gauche. Je regarde et je vois une guêpe en train de me piquer et à travers ma chaussette. Comme ça, sans raison. Pendant une bonne heure, ma cheville a gonflé mais ce n’était pas trop douloureux.

Je remonte ensuite vers un sommet très rocheux. Pas facile d’avancer car je devais parfois me soulever pour passer au-dessus d’eux. De l’autre côté, redescente jusqu’à finalement sortir de la forêt. De là, c’était parti pour une très longue section de plat au travers des champs. Un changement pour le moins plaisant après de nombreuses journées sans vues en pleine forêt.

J’arrive en ville dans laquelle je dévore un peu mexicain. Je suis ensuite rejoint par Wowgirl à nouveau. Elle me ramène une nouvelle paire de chaussures et de nouveaux bâtons de marche ! Elle a aussi proposé qu’on fasse du slackpack pour le reste de la journée. J’ai donc continué avec juste une bouteille d’eau et mon parapluie en pare-soleil. La section est excessivement simple, parfaitement plate et avec par mal d’ombre. En plus, à deux reprises, Wowgirl était là en train de m’attendre pour me donner un soda frais. À la dernière intersection, je récupère mon sac et je vais à l’hôtel pour m’écrouler dans un lit très confortable.

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