Un peu de repos était nécessaire pour permettre à mon corps de se remettre de ces premiers jours assez intensifs. Mais le repos n’est que temporaire, il me fallait retourner marcher !

Jour 10 : mile 157,6 – Silver City

Hier soir, j’ai mangé des burritos en faisant connaissance avec Highlight, la conjointe de Matt. C’était vraiment un bon moment que nous avons passé ensemble ! J’ai pu goûter les bières que Matt brasse lui même dans l’optique d’ouvrir sa propre brasserie, on a fumé un peu de cannabis (pour une fois que les américains sont moins attardés sur un sujet par rapport aux francais…) et je me suis endormi comme un loir pour une nuit des plus réparatrices. Une nuit comme j’en fait rarement !

Matt et moi, après 6 ans sans nous voir

Ce matin, c’était un petit déjeuner copieux de pommes de terres, de fromage et d’oeuf. Puis direction Walmart pour acheter deux chevilleres afin de me donner un meilleur soutien aux chevilles le temps qu’elles s’habituent à la charge.

J’ai ensuite pris ma chambre dans l’hostel et j’ai passé une grosse partie de la journée à boire, manger, mettre de la glace sur mes pieds, prendre des ibuprofènes et me mettre les pieds en l’air. L’inflammation semble progressivement partir mais j’attend de voir ce que ça donnera sur le sentier.

Wow Girl, Day Dream et moi en train de surélever nos pieds sur le canapé dans le salon

Le soir, je suis aller dans un bar avec toute la petite compagnie pour profiter d’un instant amical tous ensemble.

Jour 11 : mile 5,1 du détour Gila River

J’ai passé une excellente nuit ! Mais je me suis vite senti mal à l’aise en ville. N’ayant pas trouvé de chambre d’hôtel de dispo, et vu que mes chevilles se portent bien mieux, j’ai décidé de me remettre en route vers 13h30 plutôt que de partir demain. J’ai fait les 7,6 miles qui me séparaient du CDT en suivant le détour Walnut Creek. C’était une route en bitume pendant 5 miles avant de se transformer en route de gravier. Ce n’était en soit pas très intéressant comme terrain, mais ça m’a permis de vérifier que mes chevilles étaient bien en forme.

Section peu intéressante le long d’une route

Puis j’ai entamé le détour de Gila River. Section de presque 10 jours, il s’agit à priori d’un des plus beaux paysages de toute l’aventure. Ce n’est pas sur le tracé officiel du CDT et c’est pourtant le plus emprunté. Je n’ai regardé que très peu de photos de la section car je souhaite garder la surprise. Tout devrait devenir magnifique d’ici 2 jours, quand je quitterai Doc Campbell, mon prochain ravitaillement.

Je marchais seul quand j’ai fini par rejoindre Wow Girl, Day Dream, El Flaco, Gargoyle et Mishap au bord de la toute première source d’eau de ce long trajet. J’étais accompagné des grillons et des grenouilles pendant mon ravitaillement liquide et j’ai même été surpris par un rapace qui est passé à une dizaine de mètres à peine à coté de moi !

J’ai mangé un bon repas lyophilisé que j’ai trouvé dans une hiker box, j’ai enchaîné avec une boite de thon, un peu de viande séchée, et des noix de cajou. J’ai l’impression que je commence à manger de plus grosses quantités ! J’espère avoir mis suffisamment de nourriture dans mes deux colis, car les deux prochains ravitaillements ont déjà été envoyés lors de mon premier jour en ville.

Moi qui pensait que je me retrouverai seul pendant 3 jours en quittant le groupe… Je suis plutôt rassuré, car les repas tous ensemble au campement sont des moments que j’apprécie beaucoup. J’ai tout de même marché 12,7 miles aujourd’hui.

Wow Girl
Day Dream
Yeti
Slowpoke
El Flaco
Gator
Mishap
Gargoyle
Un bon repas lyophilisé
Première source d’eau naturelle

Jour 12 : mile 25,3 du détour Gila River

Quelle journée ! Départ à 6h20 sur un sentier en dents de scie assez raide. C’est pas si mal car ça fait travailler les cuisses qui en ont clairement besoin pour les montagnes qui arrivent. Puis le sentier suit une rivière asséchée et peu praticable. Du sable, des graviers et de gros rochers à escalader. Sauf que j’ai raté la bifurcation et je me suis retrouvé à 0,6 miles du sentier. J’ai donc coupé autant que possible en escaladant des petites paroies de 2m maximum et en me frayant un chemin dans les arbres. Parlant d’arbres, j’étais tellement concentré a regarder la carte que je me suis pris une branche en pleine tête. j’ai finalement rejoint le sentier qui entamait une montée particulièrement raide. C’était assez difficile, mais la vue au sommet en valait le coup !

J’ai ensuite fait la descente jusqu’à une source d’eau dans laquelle j’ai trempé mes pieds; mes chevilles recommencent à faire des histoires. J’étais en train de filtrer de l’eau quand un serpent a tranquillement traversé le cours d’eau à moins de 20m de moi. Pas très rassurant !

J’ai été rattrapé par Wow Girl et Day Dream qui ont ensuite pris le lead. On a traversé pour la toute première fois la rivière Gila dans un magnifique canyon. Dire que 2j plus tôt on avait du mal à trouver de l’eau, là on s’y enfonce jusqu’aux genoux !

Après notre 3 eme traversée, Wow Girl se rend compte que nous n’étions pas sur le bon chemin, pourtant très bien balisé de cairns. On s’est posé 10 minutes pour regarder les cartes; nous étions du mauvais côté de la colline et aucun chemin ne semblait rejoindre le sentier un peu plus loin. Elles ont tout de même décidé de continuer sur cette voie en espérant rapidement tomber sur un parking et appeler leurs amis qui devaient passer 2j avec elles en ville. J’ai préféré suivre mon instinct et rebrousser chemin jusqu’à trouver ce qui me semblait être là bonne voie. Il n’y avait par contre aucun chemin ! Il fallait marcher sur le bord de la rivière jusqu’à ne plus avoir de place, traverser la rivière en espérant que ce n’était pas trop profond car impossible de voir le fond, et recommencer, encore et encore. Tantôt je m’enfoncais jusqu’à la cheville, parfois jusqu’aux hanches.

J’ai fini par sentir une immonde odeur. En m’avançant, je suis tombé sur le cadavre d’une vache en décomposition. Comme il était rassurant de savoir que depuis 1h j’étais en train de boire de l’eau dans laquelle gise un bovin mort ! J’ai d’ailleurs saigné du nez, mais je pense que c’était à cause du soleil et d’un petit manque d’hydratation.

Un peu plus loin, j’ai vu 6 biches qui n’ont pas voulu faire connaissance. Puis je me suis trouvé un petit coin pour m’installer pour la nuit. Je suis tout seul, entouré de moustiques, et le seul bruit qui vient briser le silence est le beuglement d’une vache a l’agonie un peu plus loin dans la vallée.

Jour 13 : mile 39,6 du détour Gila River – Doc Campbell

A ma grande surprise, les chaussures étaient complètement congelées ce matin. Impossible de les enfiler, ni même de les plier. J’ai essayé de retirer un maximum de glace avec mes bâtons de marche mais pas le moindre résultat. Alors j’ai pissé dessus. Après tout, je vais encore traverser la rivière 1235 fois, elles auront le temps de se nettoyer. Victoire, le tissus arrive à plier juste ce qu’il faut pour que je mette mes pieds dont les chaussettes sont encore humides de la veille.

Départ à la fraîche aux alentours de 6h30 pour sentir à nouveau une odeur nauséabonde au bout de quelques minutes. Une autre vache en décomposition au bord de l’eau. Je n’ai pas été malade de l’eau bu jusqu’ici donc je ne me fais pas trop de soucis.

Après 5 minutes de marche, je dois faire ma première traversée de la rivière Gila, ce qui me refroidi considérablement, mais ce n’est pas si mal car mes chevilles sont un peu gonflées.

Je fini par croiser M&M en train de se reveiller au bord de l’eau. Elle aussi avait dormi seule et n’était pas rassurée par tous les bruits environnants. Puis j’ai continué ma route. 10, 15, 20… 52 traversées de rivière plus tard et j’arrivais à une première source naturelle d’eau chaude. Je m’y baigne complétement nu ! L’eau était à 40⁰C ce qui ne faisait pas grand contraste avec la température extérieur qui avait beaucoup augmenté. Je suis au fond d’un canyon où peu de vent circule et où la chaleur tend à s’accumuler. Néanmoins, j’apprécie grandement ce moment de détente pendant lequel je m’étire et me masse mollets et pieds. Mes chevilles devenaient de plus en plus douloureuses ce qui ne m’enchante pas.

J’ai fini par me remettre en route vers Doc Campbell, une petite ville à 3 miles de là. Après 1.5 miles de marche sur du bitume, me voilà devant le bureau de poste dans lequel je récupère mon colis de ravitaillement. Je vais poser mes affaires dans l’un des campings dans lequel je passerai la nuit, puis je retourne au bureau de poste pour acheter 2 pots de glace, 3 coca et un burrito.

Je suis retourné au campement et j’ai joué aux cartes avec M&M et Slowpoke. Je leur ai appris la crapette le temps que le magasin ne réouvre pour retourner acheter à; manger. J’ai aussi pris la décision de faire une journée de repos demain car la prochaine section est de 7 jours au moins aussi intensifs que ces 2 derniers jours. C’est une section particulièrement difficile, au moins autant que c’est beau.

Jour 14 : mike 39,6 du détour Gila River – Doc Campbell

Journée de repos aujourd’hui, pour permettre à mes chevilles de souffler un peu avant l’une des plus longue section. J’ai mangé 6 glaces aujourd’hui, tenté d’apprendre la belote à Slowpoke, mis beaucoup de glaces sur mes chevilles, et j’ai passé pas mal de temps les pieds en l’air pour réduire un maximum l’inflammation. Le soir, Slowpoke et moi avons fouillé la hikerbox et avons réussi à concocter un délicieux plat avec nos trouvailles : lentilles, oignons, blanc de poulet, thon, beaucoup d’huile d’olive, des épices et une sauce mexicaine, le tout délicatement mis dans une tortilla. C’était un vrai festin qui nous à tenu en haleine quelques heures le temps de la cuisson mais dont nous étions particulièrement fiers.

Pour la toute première fois depuis le début de l’aventure, je monte la moustiquaire de ma tente histoire d’être a l’abris du petit vent qui m’a tenu éveillé une grosse partie de la nuit dernière.

Jour 15 : mile 59,4 du détour Gila River

Bordel, quelle journée ! Elle ne commençait pas très bien pourtant. Je me lève avec une envie urgente de numéro 2 mais les toilettes étaient fermées. J’ai donc du ranger mes affaires très rapidement pour me mettre en route et trouver un petit coin pour y faire mes affaires. Après 4 miles de marche le long d’une route pavée, j’arrive devant l’entrée de Cliffs Dwellings, un village vieux de 700 ans creusé à mêmes la roche. Manque de chance, c’était fermé pendant encore 1h30 ! Pas le courage d’attendre autant de temps sachant que j’avais laissé mon sac sous un pont a l’endroit où le vrai sentier reprend. Après avoir fait 2 miles hors trail et pour rien, je me remet en route en suivant le sentier de la haute route, jusqu’au détour de Little Bear Canyon dans lequel je m’aventure tête baissée. Je suis d’abord un cours d’eau asséché qui ensuite devient un petit cours d’eau. Au plus j’avançais, au plus il y avait d’eau. Enfin, le sentier s’enfonce dans un canyon absolument magnifique. Des falaises de plusieurs dizaines de mettre de haut a peine espacées de quelques mètres dans lesquels je marche, des grands arbres, des jeux de lumières avec le soleil quand le canyon a une certaine direction, des grottes creusées dans la roche… C’était superbe !

En partant du bas droite, j’ai suivi le rose, le orange, puis le premier bleu jusqu’au rose

Au bout de ce détour, je retrouve Day Dream et Wow Girl. Je suis de retour sur le détour de la rivière Gilla et donc les traversées incessantes maintenant mes pieds mouillés toute la journée. Mais cette fois ci, le paysage est différent : d’immenses falaises nous entoure. C’est un paysage absolument incroyable qui nous a entouré jusqu’au soir ! Je ne trouve aucun mot pour décrire la beauté de l’environnement dans lequel on était, et je suis persuadé que les photos ne transcrivent pas suffisamment bien les sensations et vues que j’ai pu avoir, mais je vous laisse juger par vous même.

J’étais en train de marcher tout seul devant les filles quand, en traversant la rivière pour l’une des 84 fois de la journée, un très gros grognement retentit à une vingtaine de mètres à peine, derrière des buissons. Je me suis stoppé net, et un second grognement a eu lieu, comme un chien qui attaque. Aucun doute, il s’agit d’un loup. Une race protégée de loup a été réintroduite dans cette vallée et j’étais juste a coté de l’un d’entre eux. Day Dream et Wow Girl sont arrivé au mêmes moment avec des sprays poivrés anti ours, au cas où le loup attaquait. On était un peu craintifs tous les trois mais j’étais particulièrement excité par la présence d’un tel animal si proche de moi. Tout autant que lorsque quelques miles plus loin, alors que je marchais dans des herbes hautes, s’est mis à retentir une sonnette à deux mètres de moi tout au plus. Un serpent à sonnette que je n’arrivais pas à voir, dans les hautes herbes, me faisait comprendre de reculer sous peine de problèmes. C’est très impressionnant de cotoyer ce genre d’animaux dans son environnement. J’ai aussi vu des truites, des énorme tétards, des écureuils, des chipmunks, et deux petits serpents très rapide.

Aujourd’hui, on est aussi passés à coté d’une grande source d’eau chaude naturelle dans laquelle on est resté baigner plus de 2h. On était entourés d’une équipe qui rénove les sentiers et de quelques randonneurs. Quel plaisir de pouvoir se détendre dans une eau à 40⁰C !

Au soir, c’était Day Dream qui cuisinait pour nous 3, un mélange de purée de pommes de terres avec des légumes et des dès de viande. On était entouré de grandes falaises, c’était sublime !

Mes chevilles sont par contre de nouveau douloureuses… Je dois tenir encore 6 jours avant de pouvoir prendre 3 à 5 jours de repos a Pie Town. Ca ne m’enchante pas du tout, car je perdrais de vue ce petit groupe avec lequel j’ai passé une excellente journée, mais j’ai bien l’impression que je n’ai pas le choix. Ca a brisé mon moral de la fin de journée.

Aujourd’hui, c’était tout de même la plus belle journée de mon aventure.

Jour 16 : mile 78,5 du détour Gila River

J’ai passé une excellente nuit. Sans doutes grâce au bonbon infusé de 9mg de THC que m’a donné Wow Girl. C’est définitivement une bonne alternative en cas d’insomnie. Je me lève donc à 6h en pleine forme, je fais un taping complet de ma cheville (4 bandes) et un demi taping de la cheville droite car elle est un peu moins douloureuse, je serre bien mes chevilleres et je me met en route. Je n’ai été réveillé qu’une fois vers 3h du matin quand une pierre est tombée de la falaise juste en face de notre campement, faisant un grand vacarme.

Quelques minutes après avoir commencé à marcher, je fais ma première traversée de rivière d’une innombrable série. L’eau est glaciale et gèle mes pieds et jambes pendant près de 2h le temps que le soleil ne pénètre dans le canyon. Ce n’est pas une mauvaise chose, ça aide à réduire les inflammations ! Le paysage est toujours aussi magnifique mais je commence à progressivement sortir du canyon. Les parois rapetissent jusqu’à me laisser traverser de longues étendues d’herbes sèches. Le sentier est plutôt bien entretenu et mes chevilles apprécient, jusqu’au 15 ème mile de la journée où elles commencent a se faire sentir. Je ralentis alors la cadence, je fais un peu plus de pauses pendant lesquelles je met mes pieds en l’air, et j’arrive à continuer ma journée. Je m’aventure même sur un sentier qui n’était pas le bon, pendant 0,4 miles, soit un total de 1,2 km aller retour inutile, avant d’entamer une dernière montée jusqu’au lac. Là, il y avait un campement avec des toilettes sèches et des poubelles. Je me suis installé pas loin de quelques randonneurs avec qui je suis aller manger et bavarder un peu au coin de leur feu. J’ai notamment pu leur montrer les photos du serpent qui trainait au milieu du chemin et qui refusait de me laisser passer. Ce n’est à priori pas un serpent dangereux, mais il faut tout de même prendre des précautions !

Day Dream et Wow Girl avaient prévu de faire 5 miles de plus aujourd’hui. Je ne pousserai pas trop mes chevilles et je préfère donc ne pas les suivre sur ce coup. C’est un peu dommage car j’apprécie beaucoup les moments avec elles, mais j’aurai sans doute l’occasion de les revoir un peu plus tard.

Je ne peux écouter ni musique ni podcast sur cette longue section de 7j car mon téléphone perd 23% de batterie toutes les 24h avec l’utilisation que j’en fait (cartes, photos, blog) et ma batterie externe peut charger mon portable 1,2x. Pour être prudent, je préfère donc essayer de garder un maximum de batterie en cas de soucis.

Jour 17 : mile 100,8 du détour Gila River

Réveil à 6h pour un départ à 6h40 car j’ai une fois de plus eu beaucoup de mal à enfiler mes chaussures congelées. Mon sac de couchage avait des petits flocons de condensation gelés. Je n’ai pourtant pas eu spécialement froid de la nuit dans mon super sac de couchage. J’ai tout de même mis 2h a me réchauffer en marchant car le sentier commençait directement par remonter un canyon, cachant le soleil.

Je suis officiellement sorti de la rivière Gila qui m’aura incroyablement surpris pendant ces quelques jours. Après une courte mais raide montée pour sortir du canyon, me voilà dans les hauteurs arides en pleine exposition au soleil et au vent. C’est magnifique de voir ces immenses étendues d’herbes sèches, à perte de vue, dont seuls quelques rares arbres viennent perturber la monotonie du jaune des montagnes. Le vent par contre, très frais, souffle à m’en faire perdre l’équilibre. Mais ce n’est que pour un petit moment avant que j’arrive sur une route de graviers en pleine forêt de pins.

C’est une section vraiment belle qui rappelle beaucoup certains passages de la Californie. C’était avant d’atteindre un virage à partir duquel tout ce qui était à droite de la route était complètement brûlé. Un contraste assez étonnant. De temps en temps, une forte odeur de bois brûlé se faisait sentir, ce qui m’étonnait 1 ou 2 ans après le feu. J’ai continuer ma route alors que mes chevilles commençaient à nouveau à me faire très mal.

Je suis arrivé à la hauteur d’une voiture d’un garde forestier garé sur le côté. Il en est sorti et est venu m’annoncer que non, le feu n’avait pas 1 ou 2 ans, il était en ce moment même encore en train de brûler ! Il m’a annoncé que la route n’était pas bloquée, mais que c’était à mes risques et périls et que, même si le feu était assez bien contenu, vu la puissance du vent, nous n’étions pas à l’abris d’une reprise. J’ai analysé mes cartes et j’ai vu que la section en question n’était que de 5 miles, et le vent semblait souffler en ma faveur. Alors j’ai continué ma route.

Une centaine de mètres plus loin, je commençais à voir des nuages de fumée sortir de terre un peu partout, et quelques brasiers encore en feu à même pas 10m de la route. C’était très impressionnant et un peu flippant, mais j’ai tout de même continué. Par moments, le vent s’inversait, poussant la fumée directement dans mon visage. Quand ce n’était pas la fumée, c’étaient les cendres levées par le vent, ou la poussière que déplaçaient les dizaines de camions de pompiers en faisant des aller retours sur cette même route.

J’ai finalement atteint la fin de cette section dangereuse pour arriver sur un plateau ultra aride et à moitié brûlé en 2018. Il y avait de grosses bourrasques de vent qui me faisaient sans cesse dévier sur les côté. J’ai réussi à atteindre un abreuvoir à vaches dans lequel il y avait des sangsues. Mais pas le choix, c’est mon dernier ravitaillement en eau pour les 13 prochains miles. Alors j’ai filtré l’eau, j’ai vu un bon demi litre et j’ai repris la route. Mon estomac s’est mis à me faire mal, très mal. J’ai d’abord cru à un soucis avec l’eau, puis à ma consommation d’ibuprofènes (appelés vitamine I sur le trail) bien trop importante ces derniers temps, avant de me rendre compte que c’était juste une énorme faim. Je n’en ai pas encore parlé, mais au début de l’aventure, j’avais acheté des mix de différentes arachides. J’en ai mis beaucoup dans mes paquets de ravitaillement à Doc Campbells et Pie Town (mon prochain arrêt). Sauf que 2 jours avant d’arriver à Doc Campbells, mon corps a décidé qu’il n’accepterai plus l’une des arachides. J’ai eu des gonflements de la gorge et des remontées acides à chaque fois que j’en mangeait. J’ai fait plusieurs essais mais je n’arrive pas à déterminer laquelle me pose soucis. Je peux manger du Nutella, des amandes, des cacahuets et des noix de cajou sans aucune réaction, mais je n’arrive pas à identifier ce qui cause tout ça. Je n’ai donc pas beaucoup de nourriture jusqu’à Pie Town. De plus, depuis 3 ou 4 jours, j’ai l’impression d’avoir déjà besoin de beaucoup plus manger. Le combo des deux n’est clairement pas terrible sur une section aussi longue ! Je me ratione donc déjà un peu.

Suite à ce ravitaillement en eau, j’ai suivi la longue et interminable ligne droite qui menait vers un petit bout de forêt. J’étais harcelé par ces grosses rafales de vent et par mes chevilles dont l’état empirait. Mon moral a vite chuté. J’ai tout de même réussi à atteindre un endroit assez plat, très utilisé par les vaches vu le nombre de bouses, sur lequel j’ai installé ma tente. J’ai été rejoint par Yeti, Emma et Erika, que je n’avais pas vu depuis quelques temps déjà ! Nous partons nous coucher, il fait très frais et le vent souffle toujours un peu.

Jour 18 : mile 359,1 – Quemado

Nous avons été réveillés à 5h40 par un camion qui passait là sur la route de terre et qui a trouvé drôle de klaxonner. Je n’ai presque pas dormi de la nuit car de minuit a 5h, j’ai eu de grosses crampes d’estomac. Probablement un abus d’ibuprofènes, ce qui ne m’enchante pas car mes chevilles en ont grandement besoin. La condensation dans ma tente est complètement gelée. Non sans mal, donc, je range mes affaires et je commence à marcher avec mes gants et mon bonnet. Comme j’étais entre deux montagnes, le soleil a mis du temps à m’atteindre et il m’a fallut presque 3 heures pour me réchauffer. Les crampes d’estomac ont repris pendant la matinée m’obligeant à prendre un doliprane tant c’était douloureux.

Le sentier était assez peu intéressant; un enchaînement de montées et descentes assez raides qui m’ont tout de même permis de mettre à l’épreuve mon cardio. Au plus la journée passait, au plus mes douleurs aux chevilles s’intensifiaient.

J’ai finalement rejoint le CDT, terminant l’incroyable détour de la rivière Gila, mais ce n’était pas pour longtemps car j’ai enchaîné sur le détour du canyon Govina. A peine plus court, il est surtout intéressant car c’est le seul chemin proposant un ravitaillement en eau avant une 20 aine de miles.

En train de filtrer la merde de vache de mon eau, entouré de merdes de vaches. Crédits : @twerkinthedirt

En arrivant à ce fameux ravitaillement en eau, le tendon situé derrière la maléole de mon pied droit s’est brutalement tendu rendant chaque pas excessivement douloureux. J’ai donc fait une pause au niveau du ravitaillement en eau. Il s’agissait d’un petit plan d’eau entouré de bouses de vaches et dans lequel 2 bovins faisaient trempette. L’eau avait une odeur de merde mais je n’avais pas le choix ! J’ai donc filtré 3 litres, j’ai mis des pastilles de chlore pour une seconde protection et je me suis remis en route. Des les premiers pas, mon tendon était douloureux, si bien que je marchais lentement et en boitant. Je mettais tellement de poids sur mes bâtons de marche qu’ils ont commencé à se plier. Mon moral a drastiquement chuté et les mouches qui me harcelaient en continu n’ont clairement pas aidé.

En vérifiant mes cartes, j’ai vu que la route la plus proche se situait à 14 miles, soit 22km. Je devais donc forcer un peu sur la douleur. J’ai fini par atteindre la fin du détour et retrouver le CDT. A l’intersection, il y avait 3 camions de pompiers, vide. J’étais dans une telle souffrance que je m’étais décidé à quitter le sentier par tous les moyens possibles pour rentrer en ville prendre une bonne semaine de repos. J’étais même en train de me dire que cette section serait peut être la dernière de mon aventure car je doute fortement que mon corps accepte à nouveau de la marche. A contre cœur, il me fallait tout d’abord prendre du repos avant de prendre une aussi lourde décision. Alors j’ai attendu 1h à coté des camions en espérant que quelqu’un vienne les chercher pour me déposer en ville. Emma est passée, puis Erika (désormais surnommée Frenzia). Au moment où Erika allait partir, Yeti est arrivé en courant. 5 minutes après que l’on se soit remis en route du plan d’eau, des pompiers sont passés pour annoncer qu’un feu venait de se déclencher de l’autre côté de la montagne et qu’il était en train de brûler une partie du sentier. Ils avaient déconseillé de continuer mais le sentier n’était pas pour autant fermé.

Avant que la situation n’empire, on a décidé d’essayer de pousser et de traverser le feu pour rejoindre le groupe de 8 personnes qui était devant nous. J’ai pris une pilule de codéine, une de caféine, et j’étais prêt à marcher sur la douleur pour sortir de cette situation qui pouvait tourner au vinaigre rapidement.

Après quelques minutes, on a croisé 6 pompiers qui revenaient vers leurs camions. Ils ont confirmé qu’il était possible de traverser le feu car une équipe était sur place pour escorter jours du danger, mais qu’ils conseillaient de faire marche arrière. Ça aurait été trop risqué de continuer dans ce genre de section vu mes douleurs. J’ai donc préféré leur demander de me déposer en ville. Ils n’ont normalement pas le droit de faire ça mais ils ont considéré que ma vie était en danger car j’étais blessé et proche d’un feu. On s’est donc lancé dans un trajet de presque 4h30 sur des routes de terres dans un état catastrophique, évitant les wapitis sauvage qui aimaient beaucoup s’installer au milieu du chemin. Ils m’ont déposé à la caserne de pompiers de Quemado, à 22 miles à l’ouest de Pie Town, ville dans lesquelles j’allais pouvoir me reposer. J’ai bu un chocolat chaud pour me réchauffer et je me suis mis dans mon sac de couchage, frigorifié par le vent et les températures négatives.

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5 Commentaires

  1. J’ai rencontré Baptiste à l’aéroport de Los Angeles, dans la file d’attente avant le contrôle des douanes, que lui faisait alors même qu’il devait ensuite retourner dans l’avion pour continuer son voyage jusqu’au nouveau Mexique. Je suis admiratif de son courage, de sa pugnacité et de ce charisme qui lui permet de nouer des liens facilement et harmonieusement comme on peut s’en apercevoir à la lecture de ses beaux récits si palpitants et si bien rédigés.

    • Salut Jeff ! Je suis content de voir que tu apprécies suivre mes aventures et mésaventures 🙂 c’était un plaisir de te croiser à l’aéroport 😉

    • Toujours un vrai kiff de te lire.
      Tu es un exemple de courage.
      Courage et courage

  2. Bonjour, je tombe dessus, très lisible merci !
    Mais je regrette que la pharmacopée et la foule prennent tant de place dans ce récit.

    • Bonjour Thierry,
      Content que la lecture te plaise 🙂
      Je ne compte néanmoins pas arrêter de parler pharmacopée, tout simplement car ça fait parti de mon aventure, mais aussi parce que les moeurs doivent changer en France, et c’est un sujet que je prend à cœur.
      Quant aux personnes que je rencontre, ce sont eux qui définissent une grosse partie de mon aventure. L’aspect social et la communauté sont des choses très importantes pour moi lors d’une aventure.
      Ce blog étant un journal intime ouvert, le reste des articles seront sur la même lancée.
      Bonne lecture ! 🙂

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