Puisqu’il faut parfois écouter son corps plutôt que de forcer sur des douleurs, j’ai été contraint de prendre un peu de repos. Bien que nécessaire, c’est particulièrement frustrant de ne pas pouvoir bouger et de voir ses nouveaux amis reprendre la route un par un.

Jour 19 : mile 415,2 – Toaster House à Pie Town

Je me lève à 5h45 dans un froid glacial, range mes affaires et me positionne sur le côté de la route pour commencer à faire du stop direction Pie Town où je séjournerai quelques jours jusqu’à aller mieux. Il n’y a pas grand monde qui passe. Je met ça sur le dos de l’heure, plutôt matinale, et je prend mon mal en patience. Le soleil n’est pas encore levé, il y a pas mal de vent. Je porte ma doudoune, mon bonnet et mes gants. Ce n’est clairement pas optimal pour faire du stop mais je n’ai pas vraiment le choix. Une heure, deux heures… Le temps passe et les rares voitures que je vois m’ignorent complètement ou me font un petit coucou.

La fameuse « maison grille-pains »

Le soleil fini par suffisamment chauffer, me permettant de retirer mes vêtements chauds et de paraître plus présentable. Un homme passe pour la 4ème fois devant moi sans vraiment me prêter attention. 3 heures… Le soleil commence à me brûler. Je change pour la 3 ème fois de lieu, le plaçant sous un panneau qui indique « Pie Town, 22 miles » et je le pointe avec un de mes bâtons de marche. 4h d’attente. Toujours rien. Après 4h30 d’attente, une femme ralenti mais continu sa route et s’arrête une centaine de mètres plus loin. Elle ne bouge plus mais ne semble pas m’attendre. Je continue donc de faire du stop. Elle fait demi tour quelques minutes plus tard et propose de me déposer à Pie Town. Elle n’était pas certaine que des randonneurs du CDT puisse être dans cette ville et n’étant pas spécialement rassurée à l’idée d’embarquer un inconnu, elle a préféré demander à son mari si c’était prudent. Ayant eu la confirmation que je faisait parti de la communauté, elle m’a laissé monter dans la voiture. C’est officiellement le stop le plus long de ma vie.

Elle avait fait le PCT en 2004 et l’AT en 2007. Victime d’un accident de voiture, elle n’est plus capable de porter de lourde charges. Elle fait désormais des balades en vélo mais reste très attachée à la communauté des randonneurs. Elle m’a déposé à la Toaster House. C’est une maison en libre service appartenant à une femme qui habite un peu plus loin. Tout est gratuit et sur base de donations. C’est très bordélique à l’intérieur car de nombreux colis de ravitaillement traînent là en attendant leur propriétaire. De nombreux sacs, chaussures et équipements jonchent le sol. Il y a de la nourriture partout pour qui serait intéressé. La hiker box est monstrueusement grande. Une armoire entière pleine à raz bord de toute la nourriture dont les randonneurs ne veulent plus ou n’aiment plus.

Il manque juste du wifi. Je n’ai pas de réseau et le wifi le plus proche est hors de la propriété ce qui n’est pas spécialement pratique quand on cherche à se reposer. J’ai tout de même fait une bonne douche, lavé mes vêtements en même temps dans le bain en les piétinants, puis je suis allé au restaurant à 1km d’ici. J’ai du attendre 45 minutes avant d’être servi un simili de burger assez bon mais très peu copieux, et une part de tarte cerise chantilly. C’est bon, mais très cher, et le service est vraiment déplorable. Un peu frustré, je retourne à la Toaster House et je trouve par miracle un lit libre. Je m’y installe et je commence à traiter mes pieds et chevilles.

J’ai passé toute l’après midi à ne pas faire grand chose, si ce n’est sympathiser avec quelques personnes, boire des bières, du coca et de l’eau… Je me couche vers 22h en espérant avoir un meilleur moral le lendemain.

Jour 20-21-22-23-24-25-26-27-28-29-30-31-32-33-34 : Toaster House à Pie Town

L’attente est interminable. Durant toutes ces journées de repos, j’ai du faire mes au-revoirs à toutes les personnes avec qui j’ai marché depuis le début qui, soient passaient la nuit sur place, soit étaient juste de passage. C’est assez dur de voir tout le monde repartir et arriver à Grants, la prochaine ville, alors que je suis bloqué là. Les premiers jours, mes inflammations semblaient empirer. Elles ont finalement fini par bien réduire jusqu’à ne me laisser qu’une petite gêne. Mon tendon, lui, est toujours un peu tendu et douloureux. C’est lui qui m’a tenu autant de temps ici.

L’attente avec le doute d’un jour pouvoir remettre les pieds sur le sentier est particulièrement dure à gérer. Quelques 2600 miles (4200km) d’aventure, de douleurs et de bonheur m’attendent, mais je ne suis absolument pas sur de pouvoir reprendre la route. Du moins, je crains que les inflammations ne reviennent.

Mon plan est le suivant : plutôt que de faire la section entre Pie Town et Grants en 4 jours, je vais la faire en 5. 10 miles le premier jour, puis 13.5 pendant 4 jours jusqu’à la ville où je prendrai un peu de repos. Je vais donc devoir porter un peu plus de nourriture mais surtout beaucoup plus d’eau. Les ravitaillements en eau sont assez rare sur cette section et je risque de devoir porter 2 jours d’eau soit un minimum de 7 litres. C’est le prix à payer pour laisser un peu de temps à mon corps pour accepter ce que je vais lui faire endurer.

J’ai tout de même fait de bonnes connaissances à la Toaster House, comme Stallion, Lnyge, et Hendrix avec qui j’ai passé 4 journées. Ils ont fait une improvisation au piano, à la guitare et au chant, racontant leur expérience a Pie Town. C’était un très bon moment !

Lnyge

Stallion est lui aussi blessé, au niveau de l’avant du tibia. Il est resté presque autant de temps que moi.

Dans la nuit du jour 27 au jour 28, il y a eu une éclipse totale d’une pleine lune. C’était impressionnant et vraiment beau de voir cette lune progressivement s’assombrir et prendre une teinte marron foncé. C’était aussi l’occasion de profiter d’un ciel étoilé sans aucune pollution lumineuse.

Stallion

Wagon s’est blessé il y a quelques jours car il faisait de très grosses journées bien trop rapidement. Ses chevilles ont doublé de volume et il boite beaucoup. Il porte avec lui un Ukulélé, sur lequel il tente de m’apprendre quelques morceaux. J’arrive désormais à faire des accords !

Wagon

La 29 ème journée, on apprend que toutes les forets nationale du Nouveau-Mexique vont fermer deux jours plus tard, en raison d’un énorme risque de feu. Ca concerne toute la section entre Grants, ma prochaine ville, et Chama, la dernière ville du Nouveau-Mexique. Un total de 360 miles (570 km) que je ne pourrai pas marcher. Au même moment, un feu s’est déclaré au sud du Colorado menaçant de bruler une partie du CDT. La dernière nouvelle de la journée, c’est qu’une tempête de neige était prévue sur tout le Colorado pour la fin de semaine. On était tous dépités. Après avoir fait les routes les moins intéressantes (à l’exception de la rivière Gila), on se retrouve tous bloqués à ne pas pouvoir faire la partie la plus intéressante du Nouveau-Mexique, avec la montée dans les montagnes. Et quand bien même je prendrai la décision d’aller directement à Chama, une grosse incertitude existe au niveau du feu et de la tempête de neige qui risquent de rendre le sentier impraticable.

Peu d’options s’offrent à moi. Prendre quelques jours de plus à Pie Town, pour assurer mes chevilles et retarder mon entrée dans le Colorado pour laisser le temps à la neige de fondre ? C’est une bonne idée. Monter directement au nord du Colorado et marcher l’état du Wyoming ? Ca voudrait dire devoir revenir pour les montagnes puis repartir au nord du Wyoming pour faire le Montana ? C’est beaucoup trop de déplacements et je risquerai de le retrouver parfaitement seul ce que je n’apprécie à priori pas. Monter jusqu’au Canada et faire le reste de la randonnée vers le sud ? Ca me forcerai à attendre 3 à 4 semaines avant que le Montana soit praticable (encore beaucoup de neige en ce moment), ce que je ne peux pas me permettre en raison de mon visa, ca voudrait aussi dire pas mal de solitude, et surtout, ca voudrait dire terminer l’aventure en plein désert, ce qui marque beaucoup moins le moment qu’être en pleine forêt du Montana. Une autre idée, vers laquelle je me penche de plus en plus, c’est de partir refaire le PCT en commençant juste avant le désert de Mojave, me donnant jusqu’à 3 semaines pour me remettre en forme avant d’atteindre les montagnes de la Sierra. C’est une dure décision à prendre.

Les 3 blessés

Lors le ma 34 ème journée, j’ai pris la décision de me remettre en route le lendemain, direction Grants. C’est une section presque uniquement sur voie rapide. 5 jours de marche car je vais reprendre tout doucement pour me refaire les muscles. Je ne suis absolument pas certain que mon tendon ou mes chevilles tiennent le coup, mais je vais tout de même essayer. Je prendrai une décision pour la suite lorsque j’arriverai à Grants. Le matin, j’ai une fois de plus fait mes au-revoirs à tout le petit groupe qui reprenait la route. Sauf que cette fois, il n’y a plus personne derrière. Je me retrouve seul avec Wagon et NutWing. Pour les 5 prochains jours, je serai parfaitement seul car Nutwing fait 25 à 30 miles par jours et Wagon est atteint d’une fracture de fatigue aux chevilles, l’empêchant de bouger.

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